Entretien conduit par Raouf SEDDIK Entre la mauvaise nouvelle, fin décembre, de l'inscription de la Tunisie sur une liste des paradis fiscaux, et sur une autre liste qui relève dans notre pays une défaillance stratégique en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et, d'autre part, un certain manque de visibilité sur certains dossiers de l'heure, la diplomatie tunisienne se devait assurément de mettre les points sur les i : rappeler son rôle particulier et ses efforts réels en soulignant ce qui lui incombe et ce qui incombe à d'autres... Il en ressort un tour d'horizon diplomatique qui n'est pas sans une certaine dose de passion La Tunisie a été inscrite par la Commission européenne sur la liste des paradis fiscaux... On apprend qu'il est question de l'en retirer mardi prochain. Elle passerait cependant sur une «liste grise»... Qu'est-ce qui est reproché exactement à la Tunisie et à quoi s'est-elle engagée pour être retirée ? D'abord c'est une décision malheureuse. Cette décision prise par la communauté européenne est une décision malheureuse parce que, évidemment, la façon dont elle a été prise... Elle a été prise d'une manière précipitée, pour ne pas dire injuste en mettant la Tunisie comme... comme si elle ne voulait pas collaborer en matière de transparence fiscale. Evidemment, je ne vais pas revenir sur le processus : c'est une affaire technique, qui est traitée entre nos départements techniques et le groupe Code de conduite qui relève de la Commission européenne. Il y a un échange de correspondances qui a été créé et nos amis européens disent que la lettre qui a été envoyée par le ministre des Finances, le 4 décembre, à la veille de la réunion des ministres de l'Ecofin, n'est pas arrivée à temps, n'a pas été examinée à temps pour enlever la Tunisie de cette liste. Evidemment, après avoir inscrit la Tunisie sur cette liste, la diplomatie est intervenue. Avant, ça n'avait rien à voir avec la diplomatie économique, je tiens à l'affirmer. Donc, la diplomatie est intervenue pour expliquer à nos partenaires européens, aussi bien au niveau de la commission qu'au niveau des Etats-membres, que la Tunisie, qui tient à ce partenariat, qui considère que ce partenariat avec l'Union européenne comme un partenariat stratégique - pas seulement au niveau économique mais également au niveau du modèle de société que nous sommes en train de construire, un modèle démocratique -, ne s'attendait pas, pendant les Fêtes de fin d'année, qu'on la qualifie de pays qui ne veut pas collaborer. C'est un mauvais cadeau de fin d'année... Malheureusement. Et donc on a invité ici tous les ambassadeurs de l'Union européenne. J'ai eu des discussions avec eux. J'ai invité l'ambassadeur de l'Union européenne. On a instruit toutes nos ambassades dans les capitales européennes pour faire des démarches parallèles, pour dire que c'était injuste. D'ailleurs le chef de l'Etat, quand il a vu le président Macron, à Paris, il lui a dit d'une manière très claire que c'était une décision... étrange. Maintenant, la Tunisie va être enlevée de cette liste. On a des assurances : ça doit se faire, en principe, le 23 janvier, à Bruxelles, lors de la réunion des ministres de l'Ecofin. Mais, malheureusement, nous considérons que le mal a été fait. Parce que ce qui compte dans ces affaires-là, c'est qu'il y a un volet technique. Evidemment qu'il y a eu peut-être un retard dans la réponse... Peut-être, je dis pas... La Tunisie doit mieux faire, peut-être, dans ce domaine-là. Mais, là, cette image d'un pays dans le voisinage immédiat de l'Europe, qui cherche par tous les moyens à s'arrimer à l'espace européen par divers moyens et divers accords de partenariat, ce n'était pas une décision bienvenue, parce que ça entache l'image du pays. Est-ce qu'on peut quand même avoir une idée sur le plan technique sur ce qui est reproché à la Tunisie ? Sur le plan technique, je préfère que vous vous adressiez au ministre des Finances, qui connaît bien ce dossier parce que, au niveau des Affaires étrangères, moi j'ai traité la chose du point de vue du volet politique, pas du volet technique. C'est un engagement que la Tunisie a pris jusqu'au 31 décembre 2018... Il s'agit d'une affaire d'exonération fiscale accordée aux entreprises étrangères, grosso-modo. Je pense qu'il vaut mieux, pour avoir les détails, s'adresser au point focal tunisien, qui est le directeur général des impôts. C'est lui qui suit cette affaire-là... Vous savez, le rôle du ministère des Affaires étrangères, c'est de mettre en relation les départements techniques avec leurs homologues étrangers. Cette mise en relation a-t-elle été faite ? Voilà, absolument. Elle a été faite. Nous ne traitons pas de tous les dossiers techniques. Il y a une confusion au niveau de l'opinion publique : on pense que le ministère des Affaires étrangères traite de toutes les questions techniques, culturelles, économiques, fiscales, sécuritaires : non ! Nous, notre rôle, c'est identifier les intérêts de notre pays, et essayer de convaincre les départements techniques de réaliser ces intérêts-là. Evidemment, en collaboration et directement sous la supervision du chef du gouvernement. Maintenant, c'est un dossier technique : pour connaître le fond de la question au niveau technique, je vous conseille de contacter les départements techniques. On a assisté... ... Mais si vous permettez, je voudrais revenir sur un autre classement qui est évoqué dans les médias et qui est lié au Gafi (Groupe d'action financière). Le Gafi a classé la Tunisie parmi les pays qui présentent des défaillances... En 2015, la Tunisie a demandé à être évaluée par ce groupe. Cela concerne le blanchiment de l'argent et le financement du terrorisme. Je voudrais clarifier les choses à l'adresse de l'opinion publique. C'est une question qui est traitée entre la Banque centrale et ce groupe qui relève de l'OCDE. Notre représentant dans ce groupe a eu une série d'entretiens, dont un qui a eu lieu du 29 octobre au 3 novembre 2017 à Buenos Aires, puis un autre à Manama, Bahreïn... Et ce groupe, en même temps que la Commission européenne, a décidé de mettre la Tunisie sur la liste... Alors que la Tunisie, au niveau politique, s'est engagée à se conformer aux prescriptions fixées, sur le plan technique, législatif, organisationnel et institutionnel, pour démontrer au reste du monde qu'elle respecte les normes internationales en matière de blanchiment d'argent et de lutte contre le terrorisme... Il y a 40 critères. La Tunisie répond déjà à 26 critères sur les 40. On nous a dit qu'il y a 5 critères supplémentaires, dont un amendement à la loi de 2015 sur la lutte contre le terrorisme : amendement qui a été recommandé par le Conseil de sécurité. Il y a un amendement pour contrôler les transactions financières que font certaines entreprises pour que l'argent qui circule ne soit pas lié au blanchiment d'argent... Ce sont des mesures internationales qui ne concernent pas la Tunisie, mais qui concernent le monde entier. Et la Tunisie, volontairement, s'est proposée en 2015 pour être suivie par ce groupe. Et ce groupe l'a mise sur la liste, dans la catégorie des pays du « ongoing process ». La Tunisie s'est engagée politiquement. Elle doit naturellement continuer son engagement pour améliorer son système législatif et institutionnel. Et il y a eu, au niveau gouvernemental – pour que l'opinion publique sache – une volonté de répondre à toutes ces requêtes internationales et toute une panoplie de mesures qui ont été prises par le gouvernement – le ministère des Finances, la Banque centrale, la Justice, l'Intérieur... - tout cela pour répondre à ces critères. Et on vient d'avoir une réunion à Saint-Pétersbourg, en Russie, le 11 janvier, où il y a eu un face-à-face entre la Tunisie et le Gafi, et où la Tunisie a présenté son dossier. Il y aura une deuxième réunion qui va avoir lieu le 23 février, je pense, à Paris. C'est une assemblée générale, où tous les pays membres vont se réunir, dont la Tunisie, et où la Tunisie doit montrer qu'elle a avancé sur les 5 critères qui lui ont été demandés et nous espérons que, d'ici là, la Tunisie sera en mesure de sortir de cette classification. Que dit cette classification, plus précisément ? Elle parle de carences stratégiques en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme... L'image qu'on veut donner au reste du monde est que ce pays-là est déterminé à réussir son expérience démocratique, à se conformer aux normes internationales... Mais évidemment nous sommes au début : c'est un processus... Pour cette affaire du Gafi, nous avons déployé tous nos moyens : les ambassades... Le secrétaire d'Etat a été dépêché à Strasbourg où il a rencontré des parlementaires européens, pour dire qu'il y a urgence à faire sortir la Tunisie de cette liste, pour que l'image soit une image propre et intègre. Et donc le gouvernement tunisien est conscient de cette problématique et essaie par tous les moyens de répondre à ces exigences et conditions On a assisté récemment à un regain de violence en Libye, notamment à Tripoli, près de l'aéroport... Est-ce que l'initiative tunisienne de médiation, qui ambitionne d'inclure dans le dialogue toutes les parties en conflit, est en train de fonctionner correctement ? Quelle est la situation ? D'abord, ce qui s'est passé à la frontière tuniso-libyenne n'a rien à voir avec l'initiative tunisienne. Ce sont des milices qui se disputent le contrôle frontalier à Ras Jdir... Tant que ces milices restent dans la violence, cela veut dire qu'elles n'ont pas rejoint la logique du dialogue... Oui, mais les milices il y en a en Libye, malheureusement. Ça n'a rien à voir avec le processus politique préconisé par le chef de l'Etat. Cette initiative, elle avance. On a eu déjà quatre réunions des trois ministres des Affaires étrangères (des pays voisins de la Libye : Tunisie, Algérie et Egypte, ndlr) : une première à Tunis le 20 février 2017, une deuxième en juin à Alger, une troisième en octobre au Caire et le 17 décembre, le jour de la fin de l'accord de Skhirat — fin supposée — on a réuni les trois ministres pour dire que cette initiative reste en vie... Cette initiative, je veux l'affirmer, a introduit une dynamique sans précédent... Par quoi se traduit cette dynamique ? Je vais vous le dire ! Par la volonté des forces politiques principales d'opter pour une solution inclusive, d'opter pour le dialogue pour résoudre leurs divergences, de comprendre qu'il n'y a pas de solution militaire, que la solution doit venir des Libyens eux-mêmes et que pour toute solution, il faut que cette solution soit parrainée et suivie par les Nations unies... Voilà, aujourd'hui, depuis décembre 2016 et la visite du chef de l'Etat à Alger, il y a une nouvelle dynamique qui a été créée. Avant, ils étaient sur le point de s'entretuer. Evidemment, il y a toujours des milices qui s'entretuent mais, au niveau du Parlement de Tobrouk et du Conseil d'Etat à Tripoli, de M. Haftar, tous les protagonistes libyens pensent maintenant qu'il faudrait trouver une solution. Est-ce qu'ils sont arrivés à ce stade ? Non ! Ce n'est pas l'affaire de la Tunisie : c'est l'affaire du représentant des Nations unies, M. Ghassan Salamé, qui fait un effort colossal pour définir les mécanismes pour arriver là où la Tunisie veut bien que cette affaire-là arrive. Il a annoncé en septembre, à New York, une feuille de route. Il veut d'abord amender l'accord de Skhirat. Il a organisé à Tunis deux rounds entre des gens de Tripoli et des gens de Tobrouk pour voir dans quel sens ils peuvent amender l'accord. Ils sont arrivés à des résultats : réduire les membres du Conseil présidentiel de neuf à trois – deux vice-présidents et un président — ; séparer le conseil présidentiel et le gouvernement... Le conseil présidentiel va chapeauter politiquement la situation, la gestion du pays, mais il y aura un gouvernement qui sera chargé de gérer quotidiennement les affaires de l'Etat. En plus, il y a évidemment le problème de l'armée : comment l'unifier... Il y a là, donc, des accords entre les membres du Parlement à Tobrouk et les membres du Conseil d'Etat à Tripoli. C'est prévu par les accords de Skhirat. Cet accord dit qu'en cas de divergence, des représentants du Parlement et des représentants du Conseil d'Etat se mettent ensemble pour définir les amendements qu'ils veulent introduire... Maintenant, il faut que ces amendements agréés à Tunis soient endossés par le Parlement à Tobrouk. Il y a une difficulté à réunir le Parlement pour lui faire endosser ces amendements parce que le problème est : qui sera le président, qui sera le vice-président, et ça c'est une affaire libyco-libyenne... Deuxièmement, ce que veut faire Ghassan Salamé, c'est une conférence nationale où toutes les forces libyennes peuvent participer, dont celles qui n'ont pas participé aux accords de Skhirat. Et, troisième étape, organiser des élections libres pour permettre au peuple libyen de choisir ses représentants. Alors, pour organiser des élections, il faut un corps électoral — ils ne l'ont pas encore fait, ils sont en train d'en débattre —, il faut enregistrer les électeurs il y a une avance formidable, il y a deux millions et quelque de Libyens qui sont déjà enregistrés : ce qui démontre l'intérêt du peuple libyen et sa détermination à sortir de la crise et à choisir de manière démocratique ses représentants. Donc, le processus est «on the track», sur les rails. Bon, maintenant, le rôle de la communauté internationale, et surtout des pays voisins, c'est de soutenir M. Ghassan Salamé et soutenir les Nations unies dans ce processus. Nous ne sommes pas encore à la fin de ce processus. Il y a malheureusement des incidents meurtriers qui arrivent ici et là. C'est à cause de deux choses : premièrement, l'absence d'un gouvernement central capable, contrôler tout le territoire libyen; deuxièmement, la multiplication des milices d'obédiences et d'allégeances différentes et malheureusement... Multiplication ou persistance ? On n'a pas réussi à les réduire ! Oui, d'ailleurs l'un des objectifs de l'ONU, c'est comment intégrer certaines milices dans l'armée et comment démilitariser les autres. Tout cela est un travail que l'ONU est en train de faire et M. Ghassan Salamé est en train de faire un travail formidable. Il a tout l'appui de la Tunisie pour réussir sa mission. La déclaration de Trump sur Jérusalem a provoqué une mobilisation, au niveau du monde en général et du monde arabe et musulman en particulier. La diplomatie tunisienne semble assez timide par rapport à certains pays qui, comme la Turquie, la Jordanie ou l'Egypte, s'activent... Quelle est la position de la Tunisie et quelles sont ses actions ? La Tunisie a été claire dès le début. Il a été souligné que ce statut doit être laissé à la fin du processus politique des négociations. Donc il doit être déterminé entre Israéliens et Palestiniens... Jérusalem-Est, c'est la capitale de la Palestine. On l'a dit au Caire, on l'a dit à Istanbul, on l'a dit dans nos déclarations publiques et on l'a dit à nos amis américains. Et quand il s'est agi de voter aux Nations unies, on a voté pour cela. Cela ne veut pas dire qu'on est contre l'Amérique : c'est un pays ami, un allié de la Tunisie ! Nous voulons travailler avec l'Amérique. Mais, entre amis, on se dit la vérité. Il ne faut pas devancer les résultats des négociations. Ce qui est important, c'est d'encourager Israéliens et Palestiniens à continuer leurs négociations pour parvenir à un règlement définitif permettant au peuple palestinien de récupérer ses droits légitimes à un Etat indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale. C'est ça la position de la Tunisie... La Tunisie n'a pas été timide. La Tunisie a été parmi les pays les plus avancés pour affirmer cette question-là. Mais cette position n'est pas dirigée contre les Etats-Unis, parce que nous estimons que les Etats-Unis sont un pays ami—ami depuis 200 ans ! La Tunisie a été parmi les premiers pays à reconnaître l'indépendance des Etats-Unis, comme les Etats-Unis ont aidé la Tunisie à gagner son indépendance contre l'occupant français. Nous, nous tenons à cette relation spéciale avec l'Amérique et, comme je vous ai dit, entre pays amis, on se dit la vérité. Je ne pense pas que nous sommes ni en avance ni en retrait, ni courageux ni timides... Nous sommes dans le droit fil de nos traditions diplomatiques. Lors de sa visite récente à Tunis, le président turc Erdogan a évoqué la possibilité, au-delà de la question de Jérusalem, de renégocier le fonctionnement ou la composition du Conseil de sécurité. Quelle est la position de la Tunisie par rapport à cette proposition ? On entend parler d'une demande de siège permanent pour la Turquie... Pas pour la Turquie, pour le monde musulman ! Oui, ou pour la Turquie qui représenterait le monde musulman ! Peut-être qu'on pourrait justement clarifier cette proposition ! C'est un pays musulman, la Turquie... Je ne sais pas, franchement... Il faudrait poser la question au président turc... Le point a été évoqué dans sa déclaration au Palais de Carthage ! Il a évoqué la nécessité de réformer le Conseil de sécurité afin de permettre au monde musulman d'avoir sa voix dans cette enceinte internationale. Comment il faut faire ? Là c'est à lui qu'il faut poser la question. Et nous Tunisiens, quelle est notre position ? Nous, Tunisiens, nous avons toujours été en faveur de la réforme du Conseil de sécurité. Mais cette question de réforme n'est pas liée à Jérusalem. C'est une affaire qui date maintenant de deux décennies. Et il y a un débat qui se passe à New York, et dans les capitales de tous les pays membres des Nations unies concernant les réformes. Il y a plusieurs thèses. L'Afrique a sa position, le Japon a sa position, l'Inde a sa position, l'Italie... Evidemment, la Chine aussi ainsi que les Etats-Unis... Et quel est le bon scénario pour nous ? Nous, en Tunisie, nous pensons que le Conseil de sécurité tel qu'il est représenté aujourd'hui ne reflète pas l'état des choses dans le monde. Ce Conseil de sécurité, effectivement, gagne à être réformé. Notre ambassadeur à New York a dirigé, pendant une année, les pourparlers concernant cette question-là. Donc nous sommes très impliqués... Il a visité plusieurs capitales, il est allé en Chine, en Inde, au Japon, partout, pour essayer de comprendre les positions des uns et des autres... Nous sommes donc dans une position de meneur par rapport à cette question. C'est une question très compliquée. Parce qu'il y a effectivement un statu quo et que ceux qui le détiennent ne veulent pas le changer. Et ceux qui estiment qu'ils ne sont pas représentés veulent avoir leur place dans le nouvel échiquier du Conseil de sécurité. Donc c'est un débat qui reflète plusieurs intérêts contradictoires... Nous, en Tunisie, au niveau du principe, évidemment, nous voulons bien que le monde musulman soit, d'une manière ou d'une autre, représenté... Par un siège permanent ? Représenté ! Je ne peux pas vous dire ! Parce que là, même au niveau des réformes, il y a des idées pour augmenter le nombre des membres permanents, mais sans droit de veto... Ou augmenter leur nombre et leur octroyer le droit de veto... Cela n'est pas définitivement réglé. Ce que propose M. Erdogan, c'est de dire : comment le monde musulman, qui représente aujourd'hui un poids très important au niveau international – à travers son Organisation de la conférence islamique (OCI) – n'a pas son mot à dire sur des questions aussi vitales que la paix et la sécurité dans le monde ? Et il a raison ! Comment réaliser cela, c'est ce qui doit faire l'objet de négociations entre les différents pays, y compris les membres permanents du Conseil de sécurité. Ce n'est pas la Tunisie qui doit le décider. La Tunisie est favorable à l'idée. Comme elle est favorable à l'idée que le monde arabe soit mieux représenté. Et que l'Afrique soit également mieux représentée... Mais le débat n'est pas clos, et il n'est pas mûr pour pouvoir conclure ! Quel est aujourd'hui l'état de nos relations avec les Emirats arabes unis suite à l'incident de l'interdiction faite aux Tunisiennes de se rendre dans ce pays ? Il ne s'agit pas d'une interdiction faite aux Tunisiennes... Vous parlez certainement de l'incident qui a eu lieu à la fin de l'année empêchant les Tunisiennes, un vendredi après-midi, de monter dans l'avion. Evidemment, quand on a appris cette décision un peu bizarre, surprenante, on s'est enquis. On s'est demandé pourquoi une compagnie aérienne prend une telle décision qui n'est pas une décision ordinaire, qui n'a pas de précédent. On l'a dit à l'ambassadeur des Emirats arabes unis, qu'on a convoqué ici. L'avion était encore sur le tarmac et lui était ici, au ministère, pour qu'on lui demande des explications. Et lui, malheureusement, n'était pas au courant non plus. Alors j'ai dû appeler de hauts responsables émiratis pour leur demander ce qui se passe. On m'a dit qu'il y avait une information sécuritaire qui dit que, probablement, il y a un risque qu'une femme pourrait monter... J'ai répondu qu'il fallait nous en informer. Il n'y a pas que l'avion des Emirats qui part de l'aéroport de Tunis-Carthage. S'il y a un problème de sécurité, cela touche tout le monde, et cela touche des Tunisiens. Cela touche un avion, bien sûr : un avion des Emirats qui va transporter des Tunisiens.... Ils ont répondu que, malheureusement, c'est une information qui est venue d'une manière précipitée. On leur a dit que ça ne pouvait pas continuer : «Vérifiez, si vous avez des informations... Il faut la partager avec nous»... On a vu que cette affaire-là a continué le samedi, le dimanche et qu'on continuait toujours à appliquer la même mesure. Donc, on a décidé souverainement de suspendre le vol. Et on l'a suspendu d'une manière souveraine. Et j'ai appelé le ministre émirati, Cheikh Abdallah, pour lui dire que nous étions obligés de suspendre le vol, que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Il a été compréhensif. Il m'a dit que cette question-là n'avait rien à voir avec le statut de la femme tunisienne, que les Emirats et le peuple émirati sont fiers des acquis de la femme tunisienne, que ces acquis dépassent la femme tunisienne et touchent la femme arabe. Il a été très compréhensif et donc on a suspendu ce vol. Puis on a entamé des négociations avec eux pour que cette situation ne se répète plus. Et on s'est entendu entre ministères du Transport et autorités émiraties pour que nous, nous levions la suspension et que, eux, ils permettent à l'avion de reprendre ses vols sur Tunis. Et c'est ce qui s'est passé ? Vous savez, quand on suspend un vol comme ça, il faut un slot aérien, il faut des arrangements techniques entre les deux aéroports et tout ça. Là, ça ne dépend plus de mes compétences et ça dépend des compétences de l'aviation civile et du ministère du Transport. L'affaire est technique maintenant ! Maintenant, c'est technique. Parce que le ministère des Affaires étrangères émirati a fait publier un communiqué disant que l'avion reprend. Et nous, notre ministère du Transport a dit qu'il suspend la suspension, et donc la compagnie aérienne peut reprendre ses vols sur la Tunisie. C'est une affaire technique et donc nous espérons franchement que cette question-là sera classée le plus rapidement possible et qu'on entamera une nouvelle page avec ce pays frère auquel la Tunisie est liée par des relations historiques. La Tunisie a été parmi les premiers pays à reconnaître l'indépendance des Emirats. Le ministère des Affaires étrangères était présent à Abou Dahbi quand le drapeau émirati a été dressé. Donc, on tient à cette relation et on tient également à notre indépendance. On tient à ce que tout ça se fasse dans le respect réciproque et je pense qu'il y a une compréhension et une volonté de la part de nos amis émiratis à dépasser ces questions-là. Ma dernière question porte sur les chantiers du ministère en termes d'amélioration de la place de la Tunisie sur la scène internationale. Quel est l'agenda du ministère en ce moment ? D'abord, si vous permettez — j'utilise bien mes termes — : ce qu'on est en train de faire en matière de diplomatie depuis 2015, c'est une approche consistante et consciente. Consistante et consciente ! Contrairement à un titre qui a été publié dans votre journal : il y a de l'inconsistance et de l'insouciance dans la diplomatie. Ce qu'on fait est conscient, parce qu'on sait ce qu'on est en train de faire. On est en train, depuis 2015, depuis les élections, de rétablir la place de la Tunisie dans sa région immédiate et dans le monde. La Tunisie, aujourd'hui, est respectée par le monde entier. La Tunisie est objet d'intérêt du monde entier, de l'Est comme de l'Ouest. En témoigne le nombre sans précédent de visiteurs qui nous rendent visite. L'année dernière, juste l'année dernière, presque cinquante ministres des Affaires étrangères se sont rendus en Tunisie. Jamais depuis les premières années de l'indépendance on n'a eu ça. Jamais le chef de l'Etat tunisien n'a été invité dans des forums internationaux comme le G7. Béji Caïd Essebsi est le seul et premier président tunisien à assister à un sommet du G7. Il a été invité à Berlin puis à Taormine au G7... Si c'est pas ça une reconnaissance de la diplomatie tunisienne et de la contribution qu'a apportée le chef de l'Etat à cette diplomatie, cela veut dire que les gens ne suivent pas ce qui se passe dans le monde. Evidemment, nous passons par une transition. La diplomatie, c'est le reflet de la politique intérieure. Il y a un lien de causalité entre ce qui se passe à l'intérieur, le fonctionnement des institutions, les médias, ce qu'écrivent les médias sur le pays... Ce sont des outils. Moi, mon travail, c'est quoi ? De représenter la Tunisie à l'étranger, représenter cette Tunisie-là que vous connaissez. Evidemment, quand on a au niveau institutionnel un mal fonctionnement ou un dysfonctionnement, des médias qui, tous les jours, ne font que critiquer ce gouvernement pour dire qu'il ne fait rien, tout ça est reflété. Parce que nous avons tous les jours ici des chancelleries qui font des rapports. Donc, la diplomatie tunisienne, l'action diplomatique ne peut pas être séparée de cette actualité. Mais nous, nous sommes conscients de ce que nous sommes en train de faire. Il y a une méthodologie, une approche réfléchie de ce qu'on est en train de faire. D'abord on a rétabli des relations normales avec notre environnement immédiat. On a trouvé des problèmes avec les voisins immédiats, l'Algérie, le Maroc, l'Egypte, les pays du Golfe, avec ce monde là qui vit une ébullition, nous avons des relations normales. Nous essayons d'avoir zéro problème avec tous ces pays. En définissant d'abord nos priorités à nous, et en essayant par tous les moyens de les défendre, tout en respectant les principes de base qui ont toujours géré et dirigé la diplomatie tunisienne: la non-interférence dans les affaires intérieures, le respect de la légalité internationale, le règlement des conflits par la voie pacifique. Ce ne sont pas des principes théoriques. Vouloir par tous les moyens ne pas intégrer des alliances contre d'autres — on est contre la politique des axes, on est à égale distance de tous. Ce qui nous pousse à faire notre diplomatie, c'est d'abord cela : comment mieux servir nos intérêts ! Alors, quels sont nos intérêts ? Nos intérêts, c'est comment contribuer à répondre aux attentes de cette jeunesse qui s'est soulevée en 2011. Qu'est-ce qu'elle a demandé cette jeunesse : elle a demandé davantage de dignité et de liberté. La liberté, elle a été réalisée grâce au peuple tunisien, la Constitution, les élections libres, la liberté d'expression, tout ça. Mais nous, Affaires étrangères, notre rôle c'est de convaincre le reste du monde que ce qu'on est en train de faire, en matière de liberté et de démocratie — il y va de l'intérêt de la Tunisie — c'est dans le droit sens de l'intérêt de la Tunisie, mais c'est également dans l'intérêt de la région et du monde entier. C'est une expérience unique pour dire que, pour une fois dans une terre d'islam, islam et démocratie peuvent aller ensemble. Et nous avons pu mobiliser le soutien de nos amis pour nous aider à développer toutes ces institutions-là au niveau de la lutte contre la corruption... Toutes les institutions, l'indépendance de la Justice, la transparence au niveau des transactions, ce que je disais tout à l'heure à propos de la conformité de nos lois aux normes internationales. C'est ça notre rôle.... La deuxième chose, parce qu'il y a trois choses : comment rendre pérenne cette volonté sincère du peuple tunisien d'aller de l'avant dans le renforcement de la démocratie ? La Tunisie ne peut pas le faire seule, elle doit avoir l'appui de ses amis. Et ses amis des pays démocratiques, pas les autres pays. Et les pays démocratiques, c'est l'Europe, c'est l'Occident. Ils fournissent, ils ont fourni un appui conséquent à cette affaire-là. Et nous sommes sur la bonne voie. La deuxième priorité, c'est comment contribuer à l'effort national de développement, comment répondre à cette jeunesse qui s'est soulevée en 2011 pour réclamer davantage de dignité. Dignité dans quoi ? dans la création d'emplois, dans le développement régional. Evidemment, malheureusement nous ne sommes pas seuls dans le monde. Nous on crie, on dit que c'est une expérience unique, mais ce n'est pas évident que les partenaires partagent exactement la même approche que nous. Notre rôle quotidien c'est de continuer à essayer de convaincre nos partenaires du bien-fondé de notre approche. Et en mobilisant les investissements, en expliquant les réformes institutionnelles et les objectifs que la Tunisie est en train de faire, le code des investissements, le partenariat public-privé, toutes les réformes que le gouvernement a introduit devant le parlement et que le parlement a adopté. Comment recycler, essayer d'aider à recycler ces 250.000 jeunes Tunisiens qui ont des diplômes universitaires mais qui n'ont pas la formation adéquate pour être absorbés dans nos marchés de l'emploi, comment demander à améliorer la formation professionnelle, le système de formation professionnelle en Tunisie ? Et tout ça dans ces notes de travail quotidien, à travers nos ambassades, pas seulement du ministre c'est le travail dans nos ambassades, elles sont instruites pour aller dans ce sens-là. Erasmus, le programme que le président de la République a pu développer avec l'Union européenne pour la première fois quand il est allé à Bruxelles le 1er décembre 2016 pour le premier sommet Union européenne-Tunisie. Il a dit «nous voulons nous concentrer sur la jeunesse, nous voulons un programme spécifique pour la jeunesse». Ils ont décidé de faire tout un programme spécifique pour Erasmus. Et l'année dernière on a eu 1.780 jeunes bénéficiant de bourses Erasmus dans les universités européennes. Je viens de conclure il y a quelques semaines à Rome un Erasmus spécifique pour la Méditerranée qui sera parrainé par l'Italie. La troisième priorité, parce que la menace la plus importante qui touche la Tunisie et son avenir c'est évidemment le terrorisme. Comment doter nos forces de sécurité des moyens et des outils nécessaires pour leur permettre de faire face à cette menace terroriste. Et c'est grâce au développement de notre coopération avec des pays importants, la France, l'Italie, les Etats-Unis, l'Allemagne, qu'aujourd'hui nos forces sont mieux outillées, mieux entraînées pour pas seulement réagir à la menace terroriste mais pour prévenir toute action terroriste. C'est ça notre travail quotidien, donc vous voyez, il y a de la consistance dans cette affaire-là. Donc c'est une approche réfléchie qui a des objectifs réels conformes aux priorités fixées, soit dans le plan de développement, soit par le gouvernement. C'est ça notre travail quotidien. Evidemment, c'est dynamique, tout ça est dynamique. Je ne peux pas vous dire aujourd'hui qu'on a à réaliser tout, à atteindre nos objectifs. Non, on ne peut pas atteindre ni aujourd'hui, ni demain. Peut-être dans quinze ans ! moi, Je vois l'avenir de la Tunisie : un pays prospère, un hub, et je suis convaincu, je le vois. Je suis convaincu que dans quinze ans la Tunisie sera un pays émergent, prospère, faisant le trait d'union entre l'Europe et le Moyen-Orient...