C'est dans le coquet théâtre de poche «Lartisto» qu'est donnée, chaque fin de semaine, «La fuite», la toute nouvelle création de Ghazi Zoghbani, une pièce à trois personnages et à l'écriture fluide et légère... la dose de pertinence et de provocation est assez élevée, ce qui est pour notre grand bonheur. «La fuite», jeu et mise en scène de Ghazi Zaghbani avec Nadia Boussetta et Med Houcine Grayaâ. La rencontre improbable d'une fille de joie et d'un extrémiste religieux que met en scène Ghazi Zoghbani est d'une originalité et d'une fraîcheur saisissantes. C'est une histoire de deux solitudes qui se retrouvent dans l'exiguïté d'une chambre insalubre d'une maison close. Elle, en tenue légère, qui dévoile ses charmes, lui, en tunique, couvre-chef et barbe mal soignée. Le hasard a fait que dans ce lieu, à la marge de la société, à la bordure des bonnes mœurs, ce jeune fugitif trouve refuge et c'est chez cette fille de joie que ses croyances se confrontent à une réalité autre. Ghazi Zoghbani a imaginé ce face-à-face, une situation cocasse entre un jeune diplômé et extrémiste religieux qui échappe à la police dans les ruelles de la ville et qui se trouve dans l'obligation de se cacher dans la chambre d'une prostituée dans une maison close. Il la supplie de l'aider malgré les contradictions et l'écart entre ses pensées extrémistes et les idées libres de cette fille de joie. Et la situation devient plus complexe avec l'entrée d'un client, ce qui l'oblige à se cacher sous le lit ne pouvant rien faire qu'attendre. Elle, elle prêche la vie et ses travers, elle offre à celui qui veut une illusion de bonheur, de jouissance et de plaisir, elle sait distribuer gaieté et légèreté, c'est son métier, elle le fait bien et ses clients l'apprécient pour ses charmes mais surtout pour son franc-parler, son humour et la joie qu'elle communique... n'est-elle pas une fille de joie ? Quand elle parle, elle décomplexifie tout, elle sait rendre la vie si simple et si légère, elle aime bien taquiner, déstresser son visiteur, lui lancer des piques... la vie, pour elle, se résume en des instants de bonheur fugace, elle offre du bien-être, elle s'en procure un peu peut-être, se lie d'affection pour certains de ses clients...mais tout le reste n'est que solitude. Lui, il n'aurait jamais pu atterrir dans ce monde de la chair, si ce n'est le hasard qui l'a voulu. Invraisemblable pour lui de se retrouver dans ce lieu de débauche, ses œillères sont tellement serrées qu'aucune lumière n'arrive à l'atteindre. Il prêche la culture de la mort, de la futilité de la vie, aspire à un Eden, qui lui est de toute évidence accessible...elle, pour lui, est une épreuve, un exercice pour maîtriser des pulsions. A Elle il doit résister, il y va de la survie de son âme, face à cette tentatrice, incarnation du mal et du péché originel. Entre Nadia Boussetta et Ghazi Zoghbani, il y a tant d'atomes crochus, Ghazi aime les défis, il s'est toujours confronté aux textes les plus improbables : de La cantatrice chauve de Ionesco. En attendant Godot de Beckett, Nekrassov de Sartre, il adapte fidèlement, met en scène avec générosité et fait en sorte que le public y adhère. Nadia, elle aussi, aime les défis, elle se fait rare aussi bien au cinéma qu'à la télé, et se lance dans chaque aventure qui lui tient à cœur. Dans la peau de la fille de joie, elle s'investit corps et âme, son jeu est d'un renversant naturel ; et elle donne à son personnage de son âme, de sa fraîcheur, de son humour et de sa désinvolture. Ghazi Zoghbani, aussi, repousse les limites et s'affranchit de tout tabou et du poids du social, son œuvre transgresse, affronte et confronte deux mondes, deux visions, deux solitudes et deux parcours que rien ne peut faire se croiser. Le rouge écarlate de la tenue légère de la fille s'oppose au blanc immaculé de l'extrémiste. Un blanc, si ce n'est cette improbable rencontre, ne serait pas resté aussi pur. Chacun de ces deux personnages a su nourrir l'autre, aucun des deux n'est sorti indemne ...le public non plus.