Une adaptation très fidèle du texte d'Eugène Ionesco qui se prête à plus d'une lecture d'une actualité brûlante ! Une jeune fille est accueillie par son professeur pour une leçon. Il commence par tester ses connaissances en lui demandant de réciter les saisons... Ensuite, il passe à une leçon d'arithmétique très simple que l'élève ne comprend pas alors qu'elle trouve les résultats de multiplications très complexes. Le professeur perd son calme...Il passe alors à l'étude des langues néo-espagnoles, mais il est interrompu à plusieurs reprises par la distraction de l'élève à cause de ses maux de dents. Le professeur commence à perdre sérieusement son contrôle, et on bascule dans un jeu de mise à mort... Avec ce texte-là Ghazi Zoghbani récidive pour la seconde fois avec Ionesco et ne nous cache plus son penchant pour cet auteur d'après-guerre, fondateur de toute une mouvance théâtrale «le théâtre de l'absurde». Déjà, il y a quelques années, ce metteur en scène discret s'est adonné à l'adaptation et la mise en scène de «La cantatrice chauve», une adaptation fort réussie qui a su bien rendre l'âme du texte initial tout en donnant une nouvelle vie à travers une traduction et un jeu de comédiens. Pour La leçon, Ghazi Zoghbani nous a montré qu'il n'aime pas s'adonner aux adaptations libres avec son auteur fétiche, bien au contraire, le défi pour lui est de respecter presque à la lettre les variations d'un texte écrit en 1950 et avec la simple et judicieuse traduction au dialectal tunisien, il a su lui donner un coup d'éclat la rendant plus actuelle que jamais. La leçon est une pièce à deux personnages campés par Nooman Hamda et la toute fraîche Syrine Belhédi, avec des interventions du valet ( la bonne dans la version d'Ionesco), interprété par Néjib Ben Khalfallah, qui, à chaque apparition, adresse au professeur de mystérieux avertissements. Ces deux personnages antagonistes, représentant chacun un mode de pensée, une attitude face à la vie et au savoir, s'introduisent de prime abord, à travers leurs costumes et leurs postures, lui, austère dans son costume marron, elle, candide et fraîche dans sa robe fleurie. Durant toute la pièce, le discours du professeur évolue en parallèle avec l'évolution de sa voix. Calme et chuchotante au début, elle va devenir extrêmement puissante, éclatante, et par moments caverneuse... De même, les paroles hésitantes au début vont devenir de plus en plus dures et fermes, et leur flux va s'intensifier jusqu'à devenir intolérable. Le langage sert alors à accentuer le pouvoir du professeur et à révéler ses désirs cachés. Il utilise un flot de paroles qui hypnotise .... L'objectif du cours a dévié de son objectif... Elle, qui au début domine par sa fragilité et prise de parole énergique, commence peu à peu à perdre pied jusqu'à devenir passive, consentante même par lassitude, par inconscience, elle est abrutie par les mots. Mais surtout elle est naïve, et le professeur en profite pour accentuer son agressivité. L'élève ne sent qu'une inquiétude, une menace, illustrée par son mal de dents. Si elle consent, ce n'est pas seulement par passivité, mais aussi par ignorance de l'importance de l'acte et de toute l'agressivité qu'il cache. Et bien entendu et comme c'est souvent le cas dans le théâtre d'Ionesco, les mots, au lieu de servir à la communication entre les êtres, lui sont un obstacle. Dans La leçon, le savoir contient un double effet pernicieux. Dans un premier temps, il domine, enferme, aliène le professeur, lui fait perdre toute personnalité. Et dans un second temps, il lui permet de donner sa pleine expression à une volonté de puissance dont il n'est plus que l'instrument. Quoi qu'il fasse, l'enseignant ne peut échapper à ces deux effets contradictoires du savoir. Il ne cesse, tour à tour, de passer d'un état de soumission et de dépression à un stade de domination et d'exaltation. La pièce se termine sur une tragédie finale, une mise à mort qui prend l'aspect d'un tango, érotique ou d'une corrida mêlé de poursuites d'une sorte de danse et jeu de pas autour de la table jusqu'à ce que tout s'effondre juste après le meurtre lorsque le professeur «bredouille» « c'est bien fait...ça m'a fait du bien... ». Il est vrai que ce genre de théâtre n'est pas forcément apprécié par tout le monde, mais la proposition de Ghazi Zoghbani vaut le détour. D'autres cycles suivront bientôt à l'espace L'Artisto, sis rue de Damas.