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Les soulèvements populaires arabes de 2011 ont activé l'irrationnel
Questions à M. Tahar Gallali
Publié dans La Presse de Tunisie le 22 - 02 - 2018

Quel est le premier leitmotiv qui vous a poussé vers cette réflexion : la révolution en tant que moyen efficace de changement des modes de gouvernance ou la science qui vous semble aussi un moyen de révolutionner le monde arabe ?
L'idée est partie d'un constat qui devrait nous interpeller tous : notre grande permissivité à l'irrationnel. Occultée jusqu'alors, elle a pris des formes et des proportions alarmantes ces dernières années, à croire que les soulèvements populaires arabes de 2011 lui ont servi comme un appel d'air pour l'activer. Alors que la pensée scientifique, clé de voûte du renouveau culturel, tarde à s'enraciner, l'irrationnel tend à prendre le pouvoir dans l'espace public arabe. De la «rue arabe» aux médias d'aujourd'hui, en l'occurrence les réseaux sociaux, plus que partout ailleurs, c'est la soumission généralisée à la déraison. Le dogme éclipse l'argument, le réel se dédouble et l'esprit de se laisser bercer d'illusions. Nos sociétés parlent de science et usent de parascience, s'émerveillent d'astronomie et font appel à l'astrologie...Les récits en tous genres tapissent les imaginaires collectifs, parfois à saturation...La pensée éclairée, pourtant existante, est comme éteinte, particulièrement en ces temps gris de post-révolutions arabes 2011. C'est dire l'urgence et l'ampleur de la tâche à accomplir pour en finir avec cette torpeur qui nous accable...C'est aussi le défi qui motive cette réflexion.
Pourquoi, d'après vous, la révolution scientifique a pris tant de retard dans le monde arabe ? Quelles en sont les principales causes?
Dès leur indépendance, de nombreux pays arabes ont remis la science à l'ordre du jour. Ils l'ont formellement reconnue, dotée d'institutions et de spécialistes attitrés. Des îlots ont pu émerger ici et là à l'instar de l'école tunisienne de mathématiques, de l'école maghrébine de médecine ou de l'Irak avant son invasion en 2003. Cependant, au bilan cumulé, c'est le décrochement par rapport au monde qui compte. La science est restée confinée à l'enceinte de ses murs, non intériorisée, reléguée à la marge. Beaucoup a été déjà dit sur les causes de cette marginalisation. J'en verrais au moins deux causes.
La première: l'absence de projet sur le long terme. Nous ne pouvons continuer à faire fi de ce qui a déjà fait la réussite des autres, les pays développés hier, les pays émergents d'aujourd'hui. Il faut se rendre à l'évidence qu'il n'y a pas de développement scientifique sans l'émergence d'une classe de chercheurs ayant suffisamment de temps et de revenus pour se consacrer entièrement à leurs recherches. Nous sommes loin du compte, notamment au Maghreb et en Egypte, où les scientifiques, les prolétaires de l'élite, sont parfois conduits à déserter leur vocation première. Cette réorientation obligée dans les carrières va à l'encontre de la capitalisation du savoir scientifique et de sa fructification.
La deuxième cause est d'ordre multiple. D'abord, la puissance instituée dans sa méfiance historique face à la science. Il arrive que le pouvoir politique et le pouvoir religieux considèrent la science comme un outil à double tranchant. Ainsi, tantôt, ils usent de la stratégie de la récupération, tantôt, ils font appel au stratagème de l'occultation. Ils cherchent à instrumentaliser la science ou à la nier, tant ils craignent qu'elle puisse influencer la vie spirituelle et matérielle des citoyens. Ils n'hésitent pas à occulter les remises en cause de la science pour les remplacer par un concept autrement plus confortable, « le transfert technologique ». De plus, ils ne manquent pas d'exacerber les traditions des savoirs locaux afin de les ériger en barrières protectrices contre d'autres savoirs scientifiques nouveaux, forcément dérangeants.
Ensuite, l'inquiétude, surjouée, face aux avancées de la science .
Par ignorance ou ferveur religieuse, la science qui explore aux limites de la vie est perçue par beaucoup comme une concurrence déloyale à l'encontre de la volonté divine. Cette perception, erronée, amplifie leur peur de la science. À peine une innovation scientifique est-elle annoncée que les médias s'empressent pour dresser la liste des dangers potentiels que cette innovation pourrait induire, quand bien même les risques qui lui sont associés seraient très faibles. C'est un alarmisme stérile qui ne fait que détourner la société de la science et verser dans le mal d'aujourd'hui : l'illettrisme scientifique.
Enfin, probablement la cause la plus sournoise : la vision maximaliste de la religion. Elle a cours non seulement dans la mouvance islamiste mais plus qu'on ne le pense, chez la plupart des musulmans sunnites, malékites, notamment. Son conditionnement commence assez tôt. En effet, nos enfants sont souvent amenés à se poser la question du « pourquoi » des choses qu'on ne peut argumenter, bien avant la question du «comment» qui initie au raisonnement et à la pensée scientifique. Le préjudiciable est atteint quand l'endoctrinement religieux conduit à opposer arbitrairement la vérité métaphysique du Coran aux données relatives de la science. Loin de rester un fait isolé, cette obstination à élever le Coran en livre de science refait surface en ces temps de «post-révolutions arabes». Les émissions sur les miracles scientifiques du Coran se multiplient, le concordisme s'islamise et ses affirmations puériles finissent par fausser le rapport des jeunes à la science. Esprit clairvoyant, Abderrahman Ibn Khaldûn soulignait dès le XIVe siècle que «l'excellence en science n'a rien à voir avec la vérité métaphysique du Coran dans la mesure où des civilisations antérieures avaient réussi dans le domaine scientifique sans pour autant partager les vérités métaphysiques des religions monothéistes». Cette séparation, professée depuis le XIVe siècle, passe aujourd'hui à la trappe même auprès de beaucoup d'étudiants, paradoxalement en sciences. Ils devraient s'en souvenir que la science arabe n'a pu prospérer à son âge d'or que lorsqu'elle a fait appel à la raison et rien qu'à la raison, la pensée libérée de l'emprise du religieux. C'est rappelé pour souligner qu'on ne saurait s'approprier la science de nouveau sans la nécessaire sécularisation de la culture du quotidien. C'est à ce prix aussi que l'école saura retrouver sa vocation fondamentale, initier les jeunes à l'esprit des Lumières.
Dans votre livre on perçoit une colère, une envie de rébellion contre des inerties, des immobilismes, des rigidités qui freinent les élans dans le monde arabe. Pourquoi, alors que les choses sont en train de bouger depuis 2011, même dans les monarchies, voyez ce qui se passe en Arabie Saoudite par exemple ?
Au regard des espoirs exprimés en 2011, le dépit est évident. C'est comme lorsque vous la jouez gagnant et que la partie vous glisse entre les mains. Y aurait-il que des raisons de désespérer? Certainement pas, même si, sept ans plus tard, les chemins pour s'en sortir restent escarpés. L'espoir est permis parce qu'à leur déclenchement, les soulèvements de 2011 nous ont ouvert des fenêtres inespérées sur des futurs possibles. Ils ont fait émerger ici et là, de Tunis au Caire, des mouvements de jeunes porteurs de fortes ambitions culturelles. Issus de la société civile, déçus par les expériences récentes de l'Islam politique au pouvoir (Egypte, Tunisie, Maroc...), ces jeunes nous invitent aujourd'hui à reconfigurer la notion d'espace public arabe. Vivant au rythme de leur temps, ils sont en capacité de déconstruire l'image surfaite qui nous colle à la peau et de donner une image autre de nous-mêmes, par nous-mêmes. Quant à l'embellie saoudienne à laquelle vous faites allusion, elle est à positiver mais il ne faudrait pas se faire trop d'illusion: l'émancipation féminine restera hypothéquée tant que l'Islam politique, le wahhabisme en particulier, continuera de régenter la vie des hommes et les affaires de la Cité.
Beaucoup n'hésitent pas à attribuer la montée en puissance de la pensée dogmatique chez les jeunes au fait que la philosophie et les sciences humaines ont été délaissées au profit des mathématiques et maintenant de l'informatique. Pensez-vous réellement qu'en diffusant une culture scientifique à plus large échelle, on aura une jeunesse plus critique et plus apaisée ?
Corréler l'intrusion du dogmatisme au déficit en « humanités », la philosophie en particulier, est un constat qui revient. Il date des années 1980-1990 quand le Mouvement de la tendance islamique a pris ses quartiers dans les facultés des sciences et autres écoles d'ingénieurs. Un dysfonctionnement auquel la loi de 1991 de la réforme du système éducatif a essayé d'y remédier. C'est avoir la mémoire courte et perdre beaucoup d'énergie que de continuer à agir comme si cette loi n'avait pas existé. Elle a suscité en son temps un vaste débat sociétal que nous gagnerions à revisiter en ces temps de l'islamisme rampant.
Pour ce qui est de la culture scientifique, c'est l'antidote à cette infirmité des temps modernes qu'est l'illettrisme scientifique. Il frappe sans distinction des cafés populaires aux salons les plus feutrés de la ville où des esprits « cultivés » n'hésitent pas à proclamer haut et fort : nuls en maths et fiers de l'être. Du temps d'Ibn Rochd et Moïse ben Maimoun, on les aurait pris tout simplement pour les égarés de la Communauté.
C'est qu'il fut un temps où les sociétés arabes pouvaient débattre de science comme de n'importe quelle autre œuvre littéraire ou artistique. La science était dans la culture et non en marge de la culture.
Se pose alors la question de l'appropriation minimale de la science. Elle renvoie à l'importance des rôles respectifs des institutions éducatives, des cités et centres de culture scientifique mais aussi des médias et l'espace public.
Au scientifique de s'impliquer davantage dans les affaires de la Cité, au politique d'admettre que sans un Smic scientifique, un savoir minimum garanti, la citoyenneté restera inachevée. Ce droit au minimum social scientifique suppose la facilitation d'accès aux espaces dédiés à la culture scientifique. Plus qu'une mise à niveau institutionnelle, la création de ces nouveaux espaces constituerait des projets structurants par eux-mêmes, des fenêtres grandes ouvertes sur l'universel, des supports pour véhiculer un nouvel idéal de comportement humain : voir le monde tel qu'il est et non tel qu'on souhaiterait qu'il soit. C'est en ce sens que la diffusion de la culture scientifique permet de contrer la pensée exclusive, d'élargir l'horizon de tout un chacun et d'aider par là même les jeunes à mieux se positionner dans le monde dans lequel ils vivent et évoluent.
Propos recueillis par Amel Zaïbi
*Ahmed Djebbar est professeur de mathématiques en France, historien des sciences, auteur d'un grand nombre d'ouvrages dont : « Une histoire des sciences arabes », « Une histoire de la science arabe », « L'Algèbre arabe, genèse d'un art ». Ancien conseiller du président algérien feu Mohamed Boudiaf, il occupa, de juillet 1992 à avril 1994, le poste de ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Conférencier de talent, il a animé plusieurs débats Science/Société en Tunisie.


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