Autant nous condamnons, de l'intérieur de notre religion musulmane, les interprétations forcées du texte religieux cherchant à nous imposer comme une science irréfutable ce qui est de l'ordre des idées discutables, nous condamnons tout autant certaines applications non moins forcées d'une certaine science à tout ce qui relèverait du sacré, tout juste pour le dénigrer, quand celui-ci relève de la culture de l'Autre et de sa spécificité. La partie visible de ces pratiques, défrayant les chroniques ces derniers temps, est sans doute constituée d'un côté par l'EI (Etat Islamique) et ses horreurs et de l'autre côté par ce qu'on pourrait appeler « le phénomène Charlie » et ses avatars. Il est d'évidence que c'est une absurdité de contester aujourd'hui la liberté de conscience et la liberté d'expression ; il n'en reste pas moins vrai que la liberté s'inscrit nécessairement dans une logique de respect et de responsabilité à l'égard d'autrui. Toutes les personnes intelligentes refusent la violence de l'Islam politique et ses concrétisations les plus aberrantes depuis Al Qaïda jusqu'à l'EI, avec toutes les modulations intermédiaires ou périphériques. Parce que l'Islam est une religion, comme toutes les autres, il est fondé sur une foi qui est seule engageante à l'égard de l'Instance Suprême, Dieu. Tout le reste n'est que littérature éthique soumise à l'intelligence humaine pour sa propre quête de la vérité et des meilleures conditions du vivre-ensemble, dans la mesure où l'être humain est un animal social. Mais toutes les personnes intelligentes devraient se demander pourquoi certains chantres de la liberté d'expression veulent exercer cette liberté au détriment des symboles sacrés des autres cultures et civilisations ? N'est-ce pas une autre manière de s'inscrire dans l'intégrisme au nom des droits de l'homme et des libertés publiques ? L'intelligence humaine devrait se doter de la première valeur essentielle à l'humanité de l'homme, le RESPECT, respect d'autrui au plus naïf ou au plus intelligent de ce à quoi il tient ou de ce en quoi il croit. Respecter l'autre pour pouvoir converser avec lui et donc essayer, avec lui et non contre lui, de chercher la vérité toute relative et contextuelle qu'elle puisse être car nul ne saurait prétendre à la vérité absolue. De ce point de vue, je suis étonné jusqu'au scandale par certains comportements, dans les sociétés de la liberté, de la démocratie et du progrès, celles qui entonnent régulièrement le refrain des droits de l'homme, je suis étonné que l'on s'obstine, spectaculairement, à porter diffamation aux symboles culturels d'autrui et particulièrement des sociétés arabo-musulmanes. Je n'en veux que trois exemples éloquents : 1 – je passe vite sur le cas quasi-clinique de Robert Ménard qui est la preuve que même dans une société intelligente on peut donner le pouvoir à un malade et à un corrompu et que cela n'est pas le seul lot des sociétés dites du « tiers-monde », malgré l'anachronisme du mot. Voilà un petit bonhomme de l'organisation terroriste OAS, devenu un chantre des libertés, et le revoilà soudain redevenu nazi puisqu'il cherche à ficher les élèves selon leur religion ! Il faut vraiment de tout pour faire un monde. 2 – Dimanche 3 avril, se tenait un concours de caricatures de Mahomet, organisé au Texas (USA) par l'association "American Freedom Defense Initiative", connue pour ses positions anti-islamistes, avec la complicité de l'homme politique néerlandais Geert Wilders, dont on se souvient des implications acharnées dans des événements ailleurs de même nature. La question, c'est justement « pourquoi cet acharnement ? » et pourquoi cette recherche des preuves de sa propre liberté dans l'irrespect d'autrui et dans l'insouciance, l'inconscience même, à l'égard des morts causées » ? C'est à se demander si le terroriste et son provocateur ne sont pas de même nature ! A la mort des journalistes de Charlie Hebdo, la communauté musulmane a été majoritairement solidaire bien que n'étant pas d'accord sur la provocation recherchée par le bafouage des symboles religieux. Pourquoi continue-t-on aujourd'hui à manquer du respect à cette majorité solidaire ? A moins qu'il ne s'agisse d'un agenda politique international cherchant à pousser, non seulement l'islamisme, mais les musulmans fragiles et susceptibles, jusqu'au bout de leur emportement pour en faire régner une image diabolique repoussée par tous et justifiant toutes les violences qu'on prétexterait à leur égard ! 3 – Le troisième exemple est alors plus déconcertant. Dans un livre qu'il a publié récemment à Paris sous le titre Le Coran révélé par la Théorie des codes, un ingénieur des Mines, Jean-Jacques Walter, prétend révolutionner les études islamiques en contestant la genèse du Coran telle que soutenue par les Musulmans. De fait, il n'est pas le premier à l'avoir fait, sauf que lui prétend le faire au nom « d'une recherche scientifique très rigoureuse, dont les méthodes et les résultats ont valu à son auteur le titre de Docteur d'Etat en Islamologie de l'université de Toulouse en [décembre] 2013 ». Ainsi en parle un article de la Riposte laïque intitulé « L'autopsie du Coran par J.-J. Walter ». Docteur en quoi, au fait ? En technologie des mines, en mathématique des algorithmes ou en islamologie ? On nous dit que « l'université de Toulouse s'est trouvée contrainte de constituer un jury exceptionnel formé d'islamologues très qualifiés et d'éminents mathématiciens pour apprécier ce grand travail ». Mais à propos « d'islamologues très qualifiés », un autre article précise : « Ces résultats n'ont pas vraiment surpris le chercheur chiite qui participait au jury. » Notre nouveau docteur soutien que la théorie des codes, une théorie mathématique, permet, en se fondant sur « la signature mathématique d'un auteur, obtenue à partir d'un texte de sa plume, d'identifier ses écrits parmi ceux d'autres auteurs ». Soit ! Loin de nous tout dénigrement de la théorie des codes ni de l'interdisciplinarité ; mais, en attendant de creuser davantage nos investigations, nous croyons pouvoir douter déjà de la méthodologie d'approche et de l'aspect approximatif d'une recherche ciblée, correspondant sans doute à une orientation appropriée à l'Institut Catholique de Toulouse qui a attribué cette thèse, à toute la machine médiatique aussi qui en assure la promotion au nom d'une conclusion à tous points malintentionnée : « La fondation du premier islam n'était pas le monothéisme, mais l'antichristianisme. [On en conclut que] le fruit de cette recherche rigoureusement scientifique augure une nouvelle orientation dans l'islamologie et démasque les théories obscurantistes des défenseurs d'un Coran incréé. » Tout aussi mathématiquement, pour notre Docteur ès Islamologie (sic !), en fait un passionné de mathématiques et familier du Proche-Orient ayant bénéficié du concours d'un spécialiste (autrement dit un islamologue par un tiers interposé !), l'islam « ne peut être une religion fondée par un prophète inspiré, mais une idéologie politique fabriquée par un pouvoir ultra-dominant en l'espace de deux siècles. Ses concepteurs lui ont donné la forme apparente d'une religion afin de tirer parti du pouvoir sur les esprits que possède toute religion ». Et l'article hyperboliquement laudatif qui le magnifie de conclure : « Cette approche scientifique représente donc un défi de taille pour tous ceux qui sont impliqués dans l'exégèse coranique. Avec l'application de la Théorie des Codes dans cette recherche, Jean-Jacques Walter, ce passionné de mathématiques, s'impose dorénavant comme le premier précurseur incontournable du décryptage scientifique des données textuelles du Coran. C'est un grand maître qui, avec courage et détermination, ose franchir le Rubicon, procéder à l'autopsie du Coran et dévoiler scientifiquement des vérités interdites sur l'islam. » Que des universités, en France comme ailleurs, soient assujetties à certains calculs lucratifs, idéologiques ou confessionnels, et qu'elles n'aient de la science que la carcasse juridique ou pseudo-juridique, tout le monde le sait. Mais que ces universités, au nom de la science, deviennent des lieux où l'on cherche à embrigader la pensée pour toute forme de manipulation religieuse visant à monter les peuples, les uns contre les autres, cela devient criminel et devrait être universellement condamné dans toutes les sociétés qui se reconnaissent des hautes valeurs d'humanité. Cela est condamnable partout de la même manière, quelle que soit la religion qui se cache derrière et quels que soient les pouvoirs politiques postés à l'avant-garde de tels combats.