La première scène se déroule dans une salle de bain. Mustapha se brosse les dents et finit par s'arracher une molaire sanguinolente. Sa femme lui tourne le dos en s'appliquant son mascara. Elle ne semblait pas lui accorder de l'importance si ce n'est pour lui jeter des regards sévères. Le ton et donné. C'est aujourd'hui que le long-métrage de Nidhal Chatta «Mustapha Z» fait sa sortie en salles. Un lancement prometteur marqué par deux événements antérieurs et gratifiants : la sélection dans la compétition officielle aux JCC 2017, et surtout le prix de la meilleure interprétation masculine raflé par Abdelmomen Chouayet pour le rôle principal de Mustapha qu'il campe dans ce film. Entouré d'acteurs comme Issa Harrath, Férid Memmich, Taoufik Bahri, Mohamed Graïaa, Narjess Ben Ammar qui, pour la plupart, ont fait des apparitions furtives, c'est (Fatma Nasser) dans le rôle de Farah, son épouse, qui lui donne souvent la réplique. Ce film est agencé comme une pièce de théâtre divisée en plusieurs actes. A chaque nouvel acte, parfois espacé de peu du précédent, une voix off, sonore et autoritaire annonce le titre sur écran noir des scènes suivantes et oriente dans une certaine mesure leur interprétation. Résultat : il a été concrètement difficile de plonger dans le film, suivre son histoire, s'associer aux personnages, les aimer ou les détester, s'attendrir sur leur sort, à cause de ces multiples coupures. L'ombre du metteur en scène était omniprésente. Une chanson de Hédi Jouini à la tonalité joyeuse et optimiste «Tabaâni nbniou eddnya Zina», (suis-moi pour créer un monde meilleur), a été choisie comme générique. Surprise, elle est illustrée de photos prises dans les rues de Tunis, montrant des bus bondés, des constructions anarchiques, des détritus amoncelés, des routes dégradées. La misère, la saleté et la laideur sont les éléments du décorum naturel accompagnant la musique qui n'était pas en adéquation avec les photos. Le contraste est frappant, un brin cynique, c'est voulu ! Le sort s'acharne A l'instar de bon nombre de films produits durant la période postrévolutionnaire, celui-ci ne déroge par à la règle, le contexte choisi est une Tunisie en gestation politique, animée par les manifestations de rue, les revendications écrites sur des banderoles exposées au vent, les discussions sur la voie publique. Une rue bruyante, très politisée, en mouvement, se préparant à vivre un changement imminent. Nous sommes à la veille des élections présidentielles qui se veulent démocratiques et libres dans un pays assoifé de démocratie et de liberté. Cette agitation externe ne semble avoir aucune prise sur le logis de Mustapha, notre héros qui s'ignore. La caméra fixe de manière insistante un couple qui ne se parle pas, s'il le fait, c'est pour se disputer. La première scène se déroule dans une salle de bain. Mustapha se brosse les dents et finit par s'arracher une molaire sanguinolente. Sa femme lui tourne le dos en s'appliquant son mascara. Elle ne semblait lui accorder aucune importance si ce n'est pour lui jeter des regards sévères. Le ton et donné. Le film relate une journée ordinaire de la vie de Mustapha Z, dont même le nom est tronqué. Rien qu'une lettre en guise de nom de famille. Comment l'interpréter ? Inutile de l'associer à ce héros de l'enfance, tout de noir vêtu, qui fend la nuit sur sa monture pour voler au secours des faibles, signalant son passage par la lettre Z, on en est très loin. Mustapha consulte donc son dentiste pour le soulager, il lui demande de revenir dans deux jours. Il se fait virer de son travail, lui l'animateur radio depuis de longues années. Sa femme, hôtesse de l'air de son état, ne lui dit pas tout, pour rester élégant. Et, cerise sur le gâteau, son fils Malek (Sabri Khiari) remarqué pour son jeu naturel, ne lui manifeste aucun respect. Quel est le problème de Mustapha et pourquoi le sort s'acharne-t-il sur lui ? D'après son employeuse qui l'a viré sans ménagements ; il manque de volonté et d'esprit d'initiative ; d'après son fils, il gagne moins d'argent que maman ; d'après sa femme, il est absent et ne se soucie guère de rien. Sur un post-It qu'elle colle sur le miroir, il est chargé de récupérer le téléphone du fils et de faire les courses. Il n'en fera rien. Est-ce le début d'une révolte, même pas ! Les clichés révolutionnaires Comme un malheur n'arrive jamais seul, sa voiture est enlevée par des agents municipaux à la manière rude et au langage ordurier. Il décide de s'y embarquer et passe la nuit à la fourrière, unissant son sort avec celui de sa voiture séquestrée. Il poste une vidéo sur facebook via la tablette qu'il a confisquée à son fils, pour raconter sa mésaventure. Mustapha est alors propulsé par l'absurdité des réseaux sociaux héros national qui s'insurge contre le système. La police se déplace, représentée par une jeune femme qui parle à voix basse, qui tente d'user de persuasion pour le déloger de là. Comme quoi, dans cette cité en mutation, les méthodes de la police s'en ressentent également. Sa femme arrive, histoire de le ramener à la raison et à la maison, et pourquoi pas de faire un flirt poussé sous le regard d'une caméra proche et insistante, de quelques badauds et de journalistes amassés devant la grille de la fourrière, sans succès, non plus. Un ministre bedonnant au costume froissé à l'air grave s'amène dans sa berline noire et lui offre un cigare. Les autorités tiennent à calmer le jeu en cette nuit particulière. Mustapha ne cède pas, s'entête, tient tête à tout le monde, et semble satisfait de cette audace insolite. Une immolation par le feu s'invite comme un autre cliché puisé dans le registre révolutionnaire pour décorer le tableau. Mustapha s'asperge d'essence et allume un briquet. Heureusement, il finit par l'éteindre. Ne pouvant s'empêcher d'accomplir un geste spectaculaire pour dire sa colère, son ras-le-bol, il défonce le pare-brise de sa voiture. Un sursaut de révolte, contre sa vie, contre les siens, contre le pays, sans doute. Homme solitaire, malmené, incompris peut-être, il trouve un semblant de réconfort à travers la reconnaissance de son fils qui lui concède que l'argent ne fait pas l'homme. Si l'opus ne s'appuie pas sur une histoire à péripéties ou une intrigue forte, il s'attache à raconter la vie banale d'un homme ordinaire. L'intérêt ainsi que la valeur de ce long-métrage auraient pu se construire autour de la richesse des personnages, de la profondeur du scénario et du jeu des comédiens. Or, ces ingrédients qui font la différence n'étaient pas tous réunis. Du coup, quand les lumières se rallument, on se cherche une vague impression laissée par le film, on n'en trouve pas.