Plus de 70 associations de femmes entameront demain une marche pour l'équité successorale, de la Place Bab-Saâdoun jusqu'au Bardo. Départ prévu à 14h00. Nombre espéré : au moins 5.000 personnes entre femmes et hommes Cette marche incarne le fruit d'une dynamique égalitaire qui a démarré il y a plus de vingt ans de la part du mouvement féministe tunisien. Auparavant, le président Bourguiba avait bien tenté en 1974, à travers son fameux discours, de réformer la loi dans cette direction, mais il échoue. Son élan réformateur est bloqué et son discours longtemps censuré, car les jours d'après en représailles, l'Arabie Saoudite menace de couper tous ses prêts à la Tunisie. C'est surtout la période post-révolutionnaire qui, avec la libération de la parole, va permettre à cette exigence de circuler dans les débats et les tribunes. « Ce régime successoral, fondé, sauf exception, sur la prévalence des hommes et la règle du double à leur profit, s'est mué, des siècles durant, en une vaste entreprise d'exclusion des femmes et des filles du capital matériel et symbolique des parents en les précipitant, génération après génération, dans la pauvreté, la précarité économique et la vulnérabilité sociale », écrit en 2016 la juriste Sana Ben Achour. En juin 2016, un député, Mehdi Ben Gharbia, soumet au parlement une loi organique relative à la « fixation des parts successorales entre les ayants droit », selon un régime optionnel faisant de l'égalité entre les hommes et les femmes une règle supplétive. Mais le mufti de la République, la plus haute autorité religieuse, s'oppose à cette initiative. L'initiative du président Béji Caïd Essebsi, accompagnée de sa proposition d'abroger la circulaire 73, qui interdit le mariage entre une Tunisienne et un homme non musulman (alors que le contraire est possible), provoque elle aussi rapidement une large polémique. Le débat, toujours passionné, dépasse les frontières tunisiennes pour se propager dans toute la région arabe. Lorsque persistent des paradoxes Dans l'appel à la marche pour l'égalité dans l'héritage, les femmes initiatrices de cet événement écrivent : « Nous vivons dans un pays qui a inscrit dans sa constitution l'égalité totale entre les hommes et les femmes dans tous les domaines que le gouvernement doit promouvoir dans la loi et dans la pratique. Nous vivons dans un pays qui a signé, ratifié et levé formellement toutes ses réserves sur la « Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes », laquelle stipule clairement que les Etats doivent obligatoirement transposer ces dispositions pour l'égalité entre hommes et femmes dans le droit national. Nous vivons dans un pays qui a adopté le 11 août dernier une loi historique et intégrale pour mettre fin à toutes les formes de violences faites aux femmes, y compris la violence économique et où la loi impose aux femmes de contribuer aux charges de la famille si elle a des biens ». Mais paradoxalement à toutes ces avancées, les marcheuses du 10 mars font remarquer : « Nous vivons dans un pays où l'inégalité successorale freine l'entrepreneuriat féminin, appauvrit les femmes et réduit leur autonomie. Elles ne sont que 12% à être propriétaires d'un logement et 14% à posséder une terre. La faiblesse des ressources héritées par les femmes réduit leurs chances d'accès à la propriété et aux crédits, ce qui entrave leur autonomie économique et aggrave leur vulnérabilité et celle de leur ménage. Nous vivons dans un pays où les femmes sont de plus en plus instruites et compétentes (53% des élèves du secondaire et 66% des étudiants à l'université tunisienne) subviennent autant que les hommes aux besoins des ménages en contribuant à toutes catégories de dépenses. Elles méritent donc un partage égalitaire des ressources et de l'héritage ». Un événement festif et international Aida Ben Chaabane, présidente de la Coalition des femmes de Tunisie, est optimiste. Elle prévoit que beaucoup d'hommes progressistes vont participer à la marche, ainsi que de nombreuses femmes venues des régions. « Pour qu'on cesse de présenter ce combat comme élitiste et tabou. Le changement des rôles au sein de la famille a aujourd'hui bouleversé les équilibres anciens. Nous le voyons bien sur le terrain, y compris en discutant avec les pères dans le monde rural », affirme Aida Ben Chaabane. A côté des slogans qui vont être brandis pour cette mobilisation : « L'égalité dans l'héritage est un droit et pas une faveur » et « Oui à l'égalité dans l'héritage ici et maintenant », la marche s'annonce déjà festive et internationale. « Des personnalités féministes de France et du Maroc nous accompagneront. Sur la place du Bardo, des musiciens présenteront un concert méditerranéen et se chargeront de la fête. Nous organiserons par la suite une projection de vidéos de personnalités publiques tunisiennes et étrangères qui soutiennent notre cause », annonce Monia Ben Jemia, présidente de l'Association des femmes démocrates (Atfd).