Voici un documentaire qui, sans se jouer des émotions de ses personnages, arrive à vous décrocher une émotion très discrète alors que vous êtes assis sur votre fauteuil de spectateur. L'émotion que provoque La maison d'Angela de Olfa Chakroun repose sur ce triangle : la nostalgie d'une époque, une ville livrée aux caprices d'un nouvel urbanisme arrogant et la terrible solitude de la vieillesse. Ces trois axes s'entremêlent dans ce documentaire de 26 minutes produit par l'Agence du film avec un rythme bien maîtrisé et une image réussie qui prend le temps de raconter Angela et sa maison. Car au fur et à mesure de la progression, la maison d'Angela devient elle-même un personnage à part entière et qui tient la main de ce petit bout de femme de 75 ans qui ne s'est jamais mariée… qui n'a donc jamais eu d'enfants, qui n'a que sa maison pour mémoire et La Goulette pour histoire. Voici ce que nous apprend le synopsis de ce film sélectionné pour les JCC : «Le film est le portrait d'Angela, une Tunisienne d'origine sicilienne, naturalisée française, née à La Goulette en 1936 et qui y a toujours vécu. En 2009, sa maison familiale est vouée à la démolition, mais elle y reste encore, même si elle a déménagé ses meubles dans un nouvel appartement. Les paroles retracent l'histoire de sa famille goulettoise depuis plusieurs générations, restituent une tonalité de la vie d'antan et révèlent le désarroi d'une vie simple meurtrie par des processus de transformations inexorables». Olfa Chakroun précisera qu'«il s'agit d'un film témoignage et pas d'une enquête. C'est un film sur la mémoire qui évoque l'histoire de La Goulette cosmopolite dans les années 40-50 et la situe dans les mutations d'aujourd'hui. Angela est une mémoire orale de cette époque. Elle est aujourd'hui le point de repère pour beaucoup d'anciens de La Goulette. Sa maison est la maison de tout le monde. Je n'ai pas voulu faire dans le sensationnel. Je me suis liée au personnage tout simplement. C'est aussi l'histoire d'une grande amitié qui est née entre Angela et moi». Les lieux et les personnages, Olfa Chakroun les connaît bien. Comédienne et professeur de cinéma à l'Isamm, elle s'est orientée vers la réalisation cinématographique en s'intéressant surtout aux articulations entre les mémoires des lieux et des personnes. Sur une idée de Dionigi Alberta, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, elle s'est lancée dans la réalisation de La maison d'Angela qui est la première production de l'Agence du film. On imagine le nombre d'heures passées à filmer Angela pour ce documentaire et à quel point il était difficile de sélectionner ces vingt-six minutes d'une mémoire certainement pleine de regrets et de colère. Le résultat est très touchant puisqu'on retient une sensation bourrée d'humanité avec juste assez d'amertume pour s'en souvenir.