La SNIT met en vente de nouveaux logements à Sidi Hassine dès aujourd'hui    Météo en Tunisie : temps partiellement nuageux, températures en légère hausse    La BTE franchit une étape stratégique: migration réussie vers le standard international SWIFT ISO 20022    Tougaï quitte le rassemblement des Fennecs    Nouvelle taxe sur la richesse : ce que les Tunisiens doivent savoir    Démographie: Radioscopie d'une Tunisie en profonde mutation    Météo du 12 novembre 2025 : Temps Partiellement Nuageux et Températures Douces    Ooredoo Tunisie s'associe à Dora Chamli pour promouvoir le padel et le talent tunisien sur la scène mondiale    Une première intervention de chirurgie robotique en Tunisie réalisée avec succès à l'hôpital Charles-Nicolle de Tunis    Marathon COMAR de Tunis-Carthage dans une 38e édition : Courons pour une Tunisie plus verte    Siliana en action : 3 000 coccinelles mexicaines lancées pour sauver nos figuiers de Barbarie    Hikma Tunisie ouvre sa troisième unité de production à Tunis : Hikma Pharmaceuticals renforce sa présence en Tunisie    Hafida Ben Rejeb Latta ce vendredi à Al Kitab Mutuelleville pour présenter son livre « Une fille de Kairouan »    Tunis, prépare-toi : les matchs amicaux des Aigles se jouent plus tôt    QNB Tunisia inaugure la première agence QNB First à Sfax    Tunisie : 2000 bâtiments menacent la vie des habitants !    Quand Mohamed Salah Mzali encourageait Aly Ben Ayed    Ons Jabeur annonce une belle nouvelle : elle va devenir maman !    Météo du mardi : douceur et ciel partiellement voilé sur la Tunisie    La pièce Les Fugueuses de Wafa Taboubi remporte le Prix de la meilleure oeuvre de la 3e édition du Festival National du Théâtre Tunisien    Amina Srarfi : Fadl Shaker absent des festivals tunisiens    Dhafer L'Abidine à la Foire du Livre de Sharjah : Les histoires doivent transcender les frontières    Lem7ata : quand un espace de créativité et de solidarité investit la place Barcelone de Tunis    Météo en Tunisie : averses isolées au nord    Sarkozy fixé ce soir sur sa libération    Tunisie: Financement de projets d'excellence scientifique    Décès du Pr Abdellatif Khemakhem    Hatem Kotrane: Le Code de protection de l'enfant 30 ans et après?    Match EST vs CA : où regarder le derby tunisien du dimanche 09 novembre 2025?    La Fête de l'arbre: Un investissement stratégique dans la durabilité de la vie sur terre    Nouvelles directives de Washington : votre état de santé pourrait vous priver du visa américain    Justice tunisienne : 1 600 millions pour lancer les bracelets électroniques    Tunisie : Le budget de la Culture progresse de 8 % en 2026    L'Université de la Manouba organise la 12è édition du symposium interdisciplinaire "Nature/Culture"    Qui est Ghazala Hashmi, la musulmane qui défie l'Amérique ?    Qui est le nouvel ambassadeur de Palestine en Tunisie, Rami Farouk Qaddoumi    Secousse tellurique en Tunisie enregistrée à Goubellat, gouvernorat de Béja    Suspension du Bureau tunisien de l'OMCT pour un mois : les activités à l'arrêt    La Tunisie prépare une réduction du nombre d'établissements publics pour plus d'efficacité    Elyes Ghariani: Comment la résolution sur le Sahara occidental peut débloquer l'avenir de la région    Mondher Khaled: Le paradigme de la post-vérité sous la présidence de Donald Trump    Congrès mondial de la JCI : la Poste Tunisienne émet un timbre poste à l'occasion    Attirant plus de 250 000 visiteurs par an, la bibliothèque régionale d'Ariana fait peau neuve    Le CSS ramène un point du Bardo : Un énorme sentiment de gâchis    Ligue 1 – 11e Journée – EST-CAB (2-0) : L'Espérance domine et gagne    New York en alerte : décès de deux personnes suite à de fortes précipitations    Lettre manuscrite de l'Emir du Koweït au président Kaïs Saïed    Taekwondo : la Tunisie s'impose parmi les quatre meilleures nations    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le chantre de la négritude
10e anniversaire de la disparition d'Aimé Césaire
Publié dans La Presse de Tunisie le 19 - 04 - 2018

Disparu il y a dix ans, le poète martiniquais Aimé Césaire était, avec ses compères Senghor et Damas, le principal chantre de la négritude. Important mouvement littéraire, ce courant fut à l'origine d'une véritable épiphanie poétique. La négritude participa aussi à la réhabilitation de l'homme noir, en lui insufflant la fierté retrouvée d'être «noir» et, partant, la force de prendre son destin en main. Cette célébration de l'expérience noire n'a pas été totalement exempte d'ambiguïtés que les contemporains de Césaire comme ses héritiers n'ont pas manqué de souligner.
Aimé Césaire s'est éteint il y a dix ans, le 17 avril 2008, à l'âge de 95 ans. En lui accordant des funérailles nationales qui se sont déroulées au cimetière La Joyau à Fort-de-France, trois jours après le décès, la France a rendu hommage à ce grand Français, qui fut maire, député de sa Martinique natale et surtout l'immense poète célébré aujourd'hui dans le monde entier. Dans l'imaginaire populaire, avec ceux du poète président sénégalais Léopold Sédar Senghor et du Guyanais Léon-Gontran Damas, le nom de Césaire reste associé à tout jamais au mouvement de la négritude de langue française. Ce courant a marqué la prise de conscience de l'homme noir de son identité historique et a créé les conditions intellectuelles pour la libération du monde noir francophone dominé et colonisé.
«J'habite une blessure sacrée/ j'habite des ancêtres imaginaires/j'habite un vouloir obscur/j'habite un long silence /j'habite une soif irrémédiable...». Rien ne témoigne mieux l'importance et la centralité de la prise de conscience incarnée par la négritude dans la vie même de Césaire, que ces vers extraits d'un de ses derniers recueils, inscrits sur la pierre tombale du poète défunt. Ce poème dit mieux que toutes les nécrologies le sens du combat que l'homme a mené avec ses deux compères pour conduire le peuple noir vers son affranchissement qui n'a pas été que politique.
Retrouver l'Afrique
C'est en 1939, alors qu'il est encore étudiant à Paris, que Césaire publia la première version de son opus magnum Cahier d'un retour au pays natal, considéré avec Pigments (1937) de Damas comme les premiers grands ouvrages littéraires inspirés par la thématique de la négritude. La légende veut que c'est en découvrant pendant un voyage en Yougoslavie de l'île de Martiniska, située au large de la côte dalmate et dont le nom et le paysage lui rappelaient sa Martinique natale, que le jeune poète, âgé alors seulement de vingt-deux ans, se lança dans la rédaction de son poème au long cours.
Nourri de la poésie africaine-américaine de la Negro-Renaissance qui battait son plein à Harlem au début du siècle dernier, Césaire revient poétiquement dans son opus sur le parcours de la population antillaise esclavagisée, colonisée et dominée, mais appelé à se libérer en prenant en main sa propre histoire. Pour le poète, cette renaissance passe par le rejet de ses habits d'emprunt pour entrer en communion avec son moi profond. «Mais attention, pour moi, Martiniquais, Césaire n'eut cesse de l'affirmer, retrouver le moi profond, c'était me dépouiller de toutes les défroques occidentales et françaises, et retrouver l'Afrique».
Or, quand il vivait à la Martinique, Césaire ne connaissait pas l'Afrique. Profondément aliénés par leur éducation française qui reléguait le continent noir du côté de la barbarie, les Martiniquais issus de l'esclavage avaient soigneusement refoulé la part africaine d'eux-mêmes, préférant s'identifier à la France et aux valeurs occidentales en général. La littérature martiniquaise de l'époque, qu'on appelait doudouiste, se signalait à l'attention par son imitation quasi parfaite des avant-gardes métropolitaines. C'est à Paris que le futur poète découvrit l'Afrique, grâce à sa rencontre avec Senghor, à Louis-le-Grand, le jour de son inscription en hypokhâgne. Une rencontre qui est entrée depuis dans la mythologie fondatrice de la francophonie littéraire africaine.
Aimé Césaire a souvent raconté comment en sortant du secrétariat du lycée, il a été abordé dans le couloir par un jeune homme en blouse grise, étudiant en khâgne et originaire du Sénégal. Il voulait que le Martiniquais, de sept ans son cadet, devienne son «bizut». L'interlocuteur s'appelait Léopold Sédar Senghor. Les deux hommes ne se sont depuis plus jamais quittés, du moins intellectuellement, comme Césaire l'a expliqué au journaliste français Patrice Louis venu l'interroger en 2003, pour les 90 ans du barde. «En parlant, avec Senghor, de l'histoire de la Martinique, je me suis aperçu que beaucoup de choses qui me surprenaient à la Martinique s'éclairaient à la lumière de ce qu'il me disait, a raconté Césaire à longueur d'interviews. Mon africanité inconsciente se révélait quand Senghor m'expliquait les choses. Alors nous avons beaucoup bavardé. Nous étions très amis, et beaucoup des livres que j'ai lus, c'est grâce à Senghor». (1)
Ensemble, sur le banc de l'université parisienne qu'ils fréquentaient alors, ils ont bricolé le concept de la négritude, cette «simple reconnaissance du fait d'être noir». La démarche n'allait pourtant pas de soi car elle relevait aussi bien de la défiance que de l'invention, comme l'a souvent rappelé Césaire dans ses interviews avec la presse: «Ce mot nègre qu'on nous jetait, nous l'avions ramassé (...) mot-défi transformé en mot fondateur». Ils ont inversé le stigmate attaché à la couleur de leur peau pour en faire l'emblème d'une singularité culturelle et existentielle («être-dans-le-monde-noir»).
Pour le Martiniquais, la démarche valait aussi l'acceptation de son destin de noir, de son histoire et de sa culture. Il en fera d'ailleurs le thème central de son œuvre à venir, de sa poésie, mais aussi de ses nombreux essais et ses pièces de théâtre qui se lisent comme autant d'explorations de l'histoire de la négritude et de son affirmation en Caraïbe comme en Afrique. C'est particulièrement vrai dans les livres que Césaire a consacrés à Haïti qu'il considérait à cause de l'antériorité de sa révolution (1804) comme le lieu emblématique de l'avènement de l'homme noir dans l'histoire. «Haïti où la Négritude se mit debout pour la première fois et dit qu'elle croyait à son humanité», écrira le poète dans le «Cahier d'un retour au pays natal».
La négritude, «un racisme anti-raciste»
Jusqu'à la fin, Aimé Césaire est resté fidèle à la doctrine de la négritude qui a irrigué et articulé toutes les facettes de son activité, son œuvre littéraire comme son action politique en tant que maire et député de Fort-de-France pendant près d'un demi-siècle. «Nègre je suis, nègre je resterai » (2), dira-t-il à la chercheuse Françoise Vergès qui l'a interviewé en juillet 2004, une poignée d'années avant sa disparition. Cette affirmation prend tout son sens dans le contexte des contestations que la théorie de la négritude a soulevées quasiment dès sa conception.
Qualifiée de «racisme anti-raciste», la négritude ne devait être pour Sartre qu'une étape vers une société planétaire : «La négritude apparaît comme le temps faible d'une progression dialectique : l'affirmation théorique et pratique de la suprématie du Blanc est la thèse ; la position de la négritude comme valeur antithétique est le moment de la négativité. Mais ce moment négatif n'a pas de suffisance par lui-même et les Noirs qui en usent (...) savent qu'il vise à préparer la synthèse ou réalisation de l'humain dans une société sans races. Ainsi la négritude est pour se détruire, elle est passage et non aboutissement, moyen et non fin dernière», écrivait l'auteur de «Qu'est-ce que la littérature ?» dans sa préface à l'Anthologie de la poésie nègre et malgache éditée par Senghor en 1948.
L'essentiel des critiques de la négritude césairienne est toutefois venu de la Caraïbe. Alors que Frantz Fanon, faisant sienne la qualification sartrienne de «racisme anti-raciste», reprochait aux inventeurs de la négritude de réagir contre les colonialistes avec les moyens du colonialisme, le poète haïtien René Depestre pointait du doigt le danger de voir la négritude, de mouvement de contestation littéraire et artistique qu'elle a été à ses débuts, se transformer en une «idéologie d'Etat», comme cela s'est passé en Haïti sous Les Duvalier.
Ces critiques ont conduit Césaire à rappeler que sa conception de la négritude n'était pas biologique, mais avant tout culturelle et historique. «Je crois qu'il y a toujours un certain danger à fonder quelque chose sur le sang que l'on porte (...), a-t-il déclaré à l'africaniste Lilyan Kesteloot. Je crois que c'est mauvais de considérer le sang noir comme un absolu et de considérer toute l'histoire comme le développement à travers le temps d'une substance qui existerait préalablement à l'histoire». Contrairement à Senghor qui avait tendance à racialiser la Négritude («l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir») en l'opposant à l'Europe («l'émotion est nègre, comme la raison hellène»), Césaire n'a jamais quitté le terrain politique. Pour lui, la négritude était avant tout un instrument de prise de conscience et de lutte contre la colonisation. Loin de toute tentation essentialiste, la négritude césairienne n'a jamais été ce «racisme anti-racisme» auquel les critiques occidentaux ont voulu la réduire. «Les gens qui me connaissent savent, a-t-il expliqué, qu'il n'y a aucun racisme là, je ne suis pas raciste du tout. (...) La Négritude, c'était pour moi une grille de lecture de la Martinique !»
Une grille de lecture qui sera dans les années 1980 violemment prise à partie par les écrivains martiniquais partisans de la créolité. Tout en reconnaissant leur dette envers Césaire, les «jeunes loups» des lettres antillaises (notamment le trio Chamoiseau, Confiant et Barnabé) ont reproché au poète du «Cahier d'un retour au pays natal» d'avoir, avec la négritude, réduit la complexité plurielle de l'âme antillaise à son versant africain. Cette critique a eu un grand retentissement aux Antilles comme en Afrique où la négritude est désormais passée de mode. Le premier souci des écrivains noirs est d'être des écrivains tout court, plutôt que d'être des écrivains «nègres».


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.