« Seul celui qui a des idées personnelles est capable de rendre hommage aux idées d'autrui. Seul mérite un hommage celui qui est capable de rendre hommage à autrui» Cette affirmation du compositeur autrichien Arnold Schoenberg en dit long sur celui qui est digne d'hommage. C'est un être qui a œuvré pour l'humanité, en s'engageant, à travers ses œuvres et ses travaux, intellectuels soient-ils ou autres, à rendre lui-même hommage aux autres. En d'autres termes, il a redéfini constamment le rôle de l'œuvre, sa mission et sa capacité à être le porte-parole de l'homme en assurant son équilibre, sa conciliation et son harmonie avec le monde, contre l'esclavagisme, l'injustice; bref, contre tout ce qui atteint sa dignité et sa liberté. Et là, on intègre la notion de l'engagement qui prend toujours forme et se complète avec le militantisme. Pour les écrivains, les intellectuels et les artistes, le militantisme rejoint l'esthétisme, oscillant entre la politique et l'art; un sujet qui a beaucoup intéressé non seulement les philosophes, dont Sartre et Camus, mais aussi les « artivistes » ou encore les situationnistes comme Guy Debord. Une exposition inédite Le monde de l'engagement politico-esthétique a justement rendu hommage au ténor de la négritude affranchie : Aimé Césaire. Juin dernier, le 26 plus exactement, Césaire aurait eu cent ans, mais la mort l'a attrapé en 2008. Juin dernier, un hommage national s'est déroulé à Paris, plus exactement au Panthéon, ce monument historique qui a pour vocation d'honorer les grands personnages qui ont marqué l'histoire de la France. Le corps d'Aimé Césaire a été inhumé dans sa Martinique, mais une fresque majestueuse, composée de portraits allusifs aux quatre périodes de sa vie, a été aménagée au cœur de la nef du Panthéon, s'installant en conséquence au cœur de la république française. Cet hommage s'est prolongé à la Bibliothèque nationale François Mitterrand, nous offrant une autre exposition plus riche et plus libre : la redécouverte de «l'œuvre littéraire et l'action politique déterminante pour le XXè siècle» de ce poète martiniquais, a-t-on signalé dans la direction des collections du département Littérature et art de la BNF. On a, ainsi, goûté à ses principales œuvres, aux critiques et aux études de certains spécialistes d'Aimé Césaire et surtout à ses poèmes inédits*. Antillais jusqu'à la moelle, Césaire possède une œuvre abondante et très recherchée. Convaincu que l'art est contestataire par excellence, le poète a nourri son œuvre et ses cahiers d'amour, de révolte et, surtout, de résistance contre la servitude et le colonialisme, et ce, grâce à un cri et à une écriture nommés : négritude. Nègre...donc je suis La littérature était pour Césaire un lieu médian, un éminent cahier qui lui permettra de retourner au pays natal, et qui se figure notamment dans la poésie ; un lieu où le polyèdre est habité par un désir farouche et profond d'imposer sa culture à travers son écriture. Celle-ci a scellé un lien fort, noué entre l'écrit et le vécu, entre la poésie et l'action. Et ce, afin d'ébranler les frontières entre les civilisations, entre les cultures ; ces limites qu'on installe sont représentées alors comme des sceaux qui provoquent la haine, la répulsion et le rejet de l'autre. Elles génèrent des cicatrices qui se soignent péniblement. Cependant, le poète a réussi à ouvrir le champ de nouvelles lectures de plaies, afin de récolter de nouvelles synthèses pour les remèdes, et ce, à travers la négritude : « Ce mot désigne en premier lieu le rejet. Le rejet de l'assimilation culturelle ; le rejet d'une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. Le culturel prime sur le politique ». Ainsi, ancrer la négritude se cristallise dans l'acte de revendiquer une culture qui signe sa propre identité et ses propres valeurs, sociales, politiques, intellectuelles etc; une identité et des valeurs qui nous permettent de réclamer la dignité, la fierté et la liberté de l'être. L'Afrique devient alors, à travers ce concept, une Afrique-Mère, une terre allégorique qui conceptualise et conçoit une africanité matrice dont les rhizomes sont l'expression d'une âme humaine, courageuse et fertile. «Mon île réhabilitée» S'atteler à un travail engagé, aussi bien à travers la poésie mais aussi dans la vie quotidienne, a été une manière de prouver son attachement aux Caraïbes. Le schème colonial a été dévoilé et dénoncé par le poète, quand le paradigme de l'action et du combat a été bien affirmé par le politicien. Ainsi, Césaire s'est attaché à un labeur de grande gageure en œuvrant à améliorer la condition du peuple martiniquais. Sa carrière politique a décidément marqué et signé haut et fort son engagement contre tout ce qui rabaisse l'âme humaine. Maire de Fort de France et député de la Martinique pendant plus de 40 ans, il a revendiqué pour son pays le statut de département en 1946. Et s'il a, également, contribué à l'enrichissement et à la modernisation de son archipel en l'urbanisant, Césaire a surtout enrichi son île de ses écrits qui sont ses meilleures «armes miraculeuses», dignes d'estime. Francité, quand on te tient ! La francité, ce mot cher à Senghor qui fut le compagnon de Césaire, nous apprend que la langue française est une langue universelle, c'est-à-dire qu'elle n'est la propriété de personne, qu'elle est dépourvue de modes d'emploi, elle est surtout une métaphore de la pensée et de l'esprit comme tout langage d'ailleurs. Elle est chez Césaire l'expression d'une poésie hermétique à l'image de son île opaque, imperméable à toutes les souffrances et douleurs, invitant le lecteur à découvrir, à fouiller et à arpenter chaque espace du mot, chaque lopin de sensation. Poreuse aussi est sa poésie quand le mot devient stigmate, forme de pensée déflagrée à l'image de l'éclatement du monde et de la créolité prolifique. Avec cette langue qu'il n'a pas cessé de dénouer, de délier, de relire et de déconstruire, le poète voulait réinventer une langue à l'image de son pays, à l'image du bougement fervent enfoui dans les entrailles de son île. Paix à votre âme, Aimé Césaire * Liste des ouvrages Aimé Césaire : Victor Schœlcher et l'abolition de l'esclavage et La poésie. Lilyan Kesteloot et Barthélemy Kotch : Comprendre Aimé Césaire, l'homme et l'œuvre. Patrice Louis : Conversation avec Aimé Césaire et Introduction à Moi, laminaire...d'Aimé Césaire. Document audiovisuel de Sarah Maldoror : Aimé Césaire : au bout du petit matin (57 mn 23s) qui contient un extrait de la pièce d'Aimé Césaire La tragédie du roi Christophe.