Après l'ouverture avec le film « Looking for Oum» de la réalisatrice iranienne Shirin Neshat, le Festival du film de Gabès se poursuit en offrant au public 45 films dont 33 de réalisateurs arabes en compétition. Cette édition est aussi marquée par l'ouverture d'une nouvelle salle de cinéma, l'Agora, un espace qui permettra de dynamiser la vie culturelle et estudiantine à Gabès. En marge des activités de la troisième édition du Festival du film de Gabès, une conférence de presse a eu lieu dimanche, durant laquelle un appel a été lancé par les membres du jury du festival pour la nécessité d'appuyer les initiatives publiques/privées dans le domaine culturel. Le cinéaste syrien Mohammad Malas a appelé à la nécessité d'encourager la création des festivals dans les régions loin des capitales arabes citant l'exemple du festival du film de Gabès. Il a souligné que la relation entre l'homme d'affaires et la culture au Moyen-Orient (hormis l'Egypte) demeure une relation bâtie sur la méfiance; une méfiance alimentée, selon Malas, par les pouvoirs politiques afin qu'ils puissent garder le monopole de la production cinématographique de la région. Evoquant l'expérience égyptienne de l'homme d'affaires Naguib Sawiris et son apport pour la création du festival du Film d'El Gouna, le critique de cinéma égyptien, Farouk Abd-Elkhalik, a souligné l'importance de la création des festivals dans les régions loin des capitales. Il a, dans ce sens, expliqué que les festivals permettent de renforcer la visibilité des régions et de créer ainsi une dynamique économique et culturelle par le biais des manifestations culturelles. Parlant d'un problème qui touche tout le continent africain, à savoir le manque de salles de cinéma, le cinéaste sénégalais Moussa Touré a évoqué l'importance du privé dans l'impulsion de la culture cinéphile dans les pays africains. Touré a, par ailleurs, appelé à une coopération culturelle entre les pays africains afin de mieux promouvoir les productions arabes et africaines. L'objectif étant de se soutenir mutuellement et de s'imposer sur la scène locale et internationale. A ce sujet, Moussa Touré a révélé aux médias qu'il est actuellement en repérage pour tourner un film dans le sud de la Tunisie (Kébili). Il a, à cet égard, appelé les cinéastes africains à franchir les frontières de leurs pays pour tourner dans tout le continent africain, à l'instar des américains ou des Italiens qui ont fait du Sud tunisien un plateau de tournage idéal. De son côté, le cinéaste tunisien, Habib Mestiri, a tenu à saluer l'initiative des hommes d'affaires de Gabès dans l'impulsion de la culture dans leur région, incitant, dans ce sens, les institutions publiques à soutenir ces initiatives. Le producteur français Daniel Ziskind a mis l'accent sur l'importance de l'investissement privé dans le secteur du cinéma en signalant que cet investissement doit s'ouvrir aux attentes d'un large public et non sur une élite. Le cinéaste tunisien, Ibrahim Letaief, a rappelé, dans son intervention, que la réussite du Festival du film de Gabès réside dans un mélange atypique entre des capitaux privés, la société civile et une population assoiffée de culture. Il s'est interrogé dans ce contexte sur la manière de garder l'âme et le caractère populaire du festival tout en s'appuyant sur l'investissement du privé. Tout en soulignant l'importance de trouver un équilibre entre l'argent et l'artistique pour garder l'âme du festival, le président du festival Mahmoud Jemni a fait savoir que le budget effectif du festival est seulement de 53 mille dinars reçu de la part du Centre national du cinéma et de l'image (CNCI), rappelant que le festival a reçu plusieurs promesses de dons, y compris du ministère des Affaires culturelles, mais jusqu'à maintenant rien n'a été concrétisé. «El Kazma», lieu d'une exposition visuelle La corniche de Gabès, «El Kazma», en référence au bunker construit dans la plage durant la Seconde Guerre mondiale, s'est transformée pendant la troisième édition du Festival du film de Gabès (21-25 avril) en un lieu d'observation artistique porté sur notre société, son rapport avec elle-même, son rapport avec l'autre et avec l'Occident. Face à la plage, se dresse l'exposition portant le même nom que la corniche « El Kazma». Une exposition où neuf artistes visuels tunisiens vivant et travaillant ici et ailleurs proposent à travers des installations vidéo de différents regards et visions sur un monde où les frontières deviennent de plus en plus floues. Avec neuf artistes (Ismail Bahri, Amel Ben Attia, Nidhal Chamekh, Fakhri El Ghezal, Malek Gnaoui, Nicène Kossentini, Souad Mani, Amine Messadi, Haythem Zakaria), neuf conteneurs installés dans la corniche face à « El Kazma Plage», sont mis en scène neuf postes d'observation sur notre société, sur ses doutes, ses espérances, ses rêves et son quotidien. Chaque conteneur transporte le spectateur vers un monde où se mélangent la réalité et les émotions personnelles de l'artiste. Dans son installation de 24mn 30s, l'artiste Malek Gnaoui propose dans son œuvre « Dead Meat Moving « (la viande morte en mouvement) une immersion dans le monde de l'abattoir où les moutons sont écorchés vifs, vidés de leur sang par des bouchers aux gestes précis et méticuleux. La cruauté du réel interpelle le public et le renvoie à son propre destin où les faibles se trouvent écorchés par le poids du système. Muni de son téléphone, l'artiste Fakhri El Ghezal a filmé pendant trois ans des scènes de vie prises au cours de son trajet quotidien dans les routes de Tunis. A travers ses rencontres fortuites, il capte par sa caméra tel un journal de bord, des instants, des lieux et des silhouettes humaines. Intitulée «Heni el Teli» (je suis derrière), l'installation vidéo de 9mn 30s de Fakhri El Ghezal invite le public à scruter la beauté dans les détails de la vie quotidienne. «Never Give up» (Ne jamais désespérer) est le nom d'une maison de fortune située dans la « jungle de Calais», ancien camp de réfugiés situé dans la ville française Calais. La séquence vidéo de Nidhal Chamekh met en scène la maison de fortune en question en train de brûler, accompagnée par la voix de l'appel à la prière de la mosquée du coin. Prise pendant la destruction du camp de Calais en 2016, la maison en feu illustre une tradition chez les réfugiés afghans qui brûlent leurs maisons de fortune chaque fois qu'ils quittent un lieu. « A travers cette séquence, j'ai voulu aborder la question de l'exil, une question qui touche la jeunesse de la rive sud», a fait savoir Chamekh à l'agence TAP. Et d'ajouter : «La voix de l'appel à la prière et la forêt mettent en valeur le caractère universel de la thématique et donne l'impression que la maison en feu peut être prise dans n'importe quel pays arabe ou européen». Mélangeant l'art contemporain aux préoccupations sociales d'une jeunesse tournée vers un Occident à la fois honni et fantasmé, les neuf conteneurs endossent pendant le Festival du film de Gabès un nouveau rôle. Plus question de transporter des marchandises vers l'Occident, avec le regard à la fois poétique et réaliste des neuf artistes, les conteneurs transportent des rêves, des angoisses et des interrogations. (TAP)