Le cinéma iranien est un modèle qui ne se démode pas ou du moins pas encore. Paradoxalement, il tire toute sa force du contrôle exercé par l'Etat et tire son substrat de l'utilisation du non-dit. «Everybody nows» d'Asghar Farhadi à l'ouverture de la 71e édition du Festival de Cannes (8-19 mai) peut être considéré comme une nouvelle consécration pour le cinéma iranien. Les récompenses aux films iraniens de la 13e édition du Festival international du film oriental de Genève (Fifog) montrent encore une fois la vivacité et l'énergie de la production de ce pays où la liberté d'expression est quasi absente. Par contre, les cinémas des pays où il y a un vent de liberté et d'ouverture, notamment ceux du «Printemps arabe», n'ont pas réussi à offrir, malgré une certaine embellie, des productions de grande qualité. La 13e session a été placée sous le signe de la femme. Ce qui est frappant, c'est que la Tunisie, un des premiers pays arabes avant-gardistes en matière d'émancipation de la femme, présente avec trois longs métrages en compétition : «Benzine» de Sara Abidi (compétition internationale), «Tunis by night» de Lyes Baccar et «Zizou» de Férid Boughedir (compétition prix de la critique), n'a pas pu décrocher de prix, de même l'Algérie, le Maroc et le Liban. Et c'est, paradoxalement, la République islamique d'Iran, où la liberté d'expression est muselée qui rafle les prix. Ainsi, le Fifog d'Or de la section compétition internationale décerné au film iranien «N°17 Soheila» de Mahmoud Ghaffari, le Fifog d'argent à un autre film iranien «Israfil» d'Ida Panahendeh et le Fifog d'or de la section documentaire à «Des rêves sans étoiles» de Mehrdad Oskouei est encore une fois la preuve de la richesse du cinéma iranien. Un cinéma qui ne s'est jamais mieux porté malgré la complexité du régime en place. Le festival a mis donc à l'honneur la femme, un sujet délicat qui permet de voir comment a été abordée la lutte de la femme contre les archétypes d'une société machiste. En dépit des contraintes imposées à la femme iranienne, celles-ci ne l'a pas empêchée d'évoluer et de se moderniser en prenant les commandes de la réalisation des films. Le cinéma iranien est un modèle qui ne se démode pas ou du moins pas encore. Paradoxalement, il tire toute sa force du contrôle exercé par l'Etat et son substrat de l'utilisation du non-dit. Les réalisateurs traitent leurs sujets, notamment la politique, la police des mœurs (Komité) ou encore la femme avec subtilité et beaucoup de pudeur sans aller au-delà des interdits. Même si les limites de ce qui est interdit ou ne l'est pas ne sont pas nettement définies. Pour contourner les lignes rouges imposées par la censure, les cinéastes iraniens ont recouru à un langage cinématographique approprié qui se sert de différents procédés syntagmatiques et d'indices au niveau des regards, des gestes, des objets symboliques, le hors champ, la métonymie, etc. Par exemple, l'expression de la sensualité chez une femme voilée se transmet à travers un plan de son pied nu. L'enfant est aussi beaucoup utilisé pour faire passer un message que ne pourrait exprimer un adulte. Le jeu sur les espaces intérieurs et extérieurs également. En fait, et comme dans un grand nombre de pays, la production cinématographique iranienne est bipolarisée : d'un côté, il existe un cinéma d'auteur international souvent financé par des mécanismes de coproduction et le soutien d'institutions et de festivals étrangers, et de l'autre, une production nationale de divertissement grand public, jouissant du soutien financier de l'Etat, mais se conformant à certains codes. Certains cinéastes interdits dans leur pays trouvent des astuces pour continuer à filmer, comme Jafar Panahi, interdit de quitter l'Iran, est contraint de tourner à l'intérieur de son appartement, et d'autres recourent à des aides européennes pour faire exister leur film. Le cinéma iranien est un cas paradoxal qui s'épanouit dans la contrainte.