Ramener une sensibilité d'un ailleurs parfois très lointain et la pétrir à un regard local, un jeu de cinéma auquel les réalisateurs se sont prêtés. Dans les salles tunisiennes à partir du 9 mai, date à laquelle ils font l'ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs de la 71e édition du festival de Cannes, les quatre courts-métrages de Tunisia Factory 2018 ont été projetés pour la première fois samedi dernier à la Cinémathèque tunisienne. Derrière ce projet, une collaboration entre la Quinzaine, dont le directeur artistique est Edouard Waintrop, et le Centre National du Cinéma et de l'Image, dirigé par Chiraz Laâtiri. La Factory se pose en Tunisie après un passage par Taipei, les pays nordiques, le Chili, l'Afrique du Sud et le Liban. La formule reste inchangée pour ce programme qui «a pour but l'émergence de nouveaux talents sur la scène internationale, permettant ainsi à de jeunes cinéastes internationaux de se rencontrer et de créer ensemble». Dans un premier temps, quatre jeunes réalisateurs internationaux ont été sélectionnés. A l'issue d'un appel à participation, quatre jeunes cinéastes tunisiens ont été choisis pour travailler chacun avec l'un d'eux. Les huit auteurs travaillant par ailleurs sur des projets propres de longs-métrages. Trois mois d'écriture croisée suivis de cinq semaines de tournage et de post-production avec une équipe technique et un casting tunisiens, et les courts-métrages d'une quinzaine de minutes chacun ont vu le jour, coproduits par un «Groupement solidaire de sociétés de production » composé des Tunisiens Dorra Bouchoucha, Lina Chaâbane, Habib Attia, Imed Marzouk, Omar Ben Ali, Riadh et Selma Thabet ainsi que Khaled Mechken (Nomadis Images, Ciné téléfilms, Propaganda Productions, SVP, Ulysson, Objectif), avec Dominique Welinski (DW – France). Par ordre, les films révélés à l'écran ont été « Omerta » de Mariem Ferjani et Mehdi Hamnane (France), « Leila's blues » d'Ismaël et Fateme Ahmadi (Iran), « L'oiseau bleu » de Rafik Omrani et Suba Sivakumaran (Sri-Lanka) et « Best day ever » de Anissa Daoud et Aboozar Amini (Afghanistan). « Raconter une histoire universelle à travers un conte local » était le défi des jeunes cinéastes, tel que décrit par la productrice Dorra Bouchoucha, qui a présenté la projection samedi dernier. Ramener une sensibilité d'un ailleurs parfois très lointain et la pétrir à un regard local, un jeu de cinéma auquel les réalisateurs semblent s'être prêtés jusqu'au bout, au point que le spectateur se trouve incapable de discerner l'empreinte de chacun, ou ce que chacun a mis de soi et ce qu'il a dû mettre de côté pour créer une œuvre commune. Leurs profils diversifiés y ont contribué, tout en enfantant des films profondément tunisiens. Comédiens, décors et lumières nous plongent dans des univers qui nous ressemblent, tout en mettant en scène l'humain, l'universel, dans sa complexité. Le passage de devant à derrière la caméra est fluide pour Meriem Ferjani et Anissa Daoud. L'une dresse le portrait d'une jeunesse indécise et à l'avenir incertain, et l'autre raconte un incident familial du point de vue des quatre membres de la famille. Alors que Meriem Ferjani filme exclusivement en extérieur, Anissa Daoud filme principalement en intérieur mais toutes deux présentent l'espace, ouvert ou fermé, comme un lieu de confinement, où la liberté suffoque. Une allégorie d'une quête tunisienne qui peine à se réaliser et que représente à son tour Rafik Omrani en dressant le portrait du pays à l'image de « L'oiseau bleu » et de sa propriétaire. Ce restaurant de la banlieue de Tunis, fréquenté par des personnages haut en couleur, est le lieu où les destins se croisent et parfois se scellent. Un conte des temps modernes raconté dans une esthétique basée sur l'opulence des dialogues, de la musique et de l'image. Plus sobre, « Leila's Blues » d'Ismaël met en scène trois personnages, dont le principal, Leila, est confronté à des choix liés à sa condition de femme et de mère. Un fragment de sa vie qui renvoie à ce qui le précède et qui laisse le champ ouvert sur ce qui va suivre. Cela donne quatre films qui touchent et qui réussissent dans la cohérence de leurs éléments narratifs et la justesse de leurs rythmes. Tous ont adopté le parti pris des gros plans et d'histoires portées par les visages de leurs acteurs. Des interprètes du langage universel de la sensibilité.