Hélas, Farhadi a beau scruter les personnages à travers des intérieurs de maisons, d'un café, d'un salon de coiffure, d'une école, la caméra n'arrive pas à s'accrocher pour approfondir la psychologie des protagonistes Le Festival de Cannes a lancé, mardi 8 mai, sa 71e édition avec les stars espagnoles Penélope Cruz et Javier Bardem sur le tapis rouge et à l'écran et avec une nouvelle formule dans la salle. Cette année, pour la première fois depuis des décennies, aucune avant-première presse n'est organisée avant les soirées de gala. Pour le film d'ouverture Everybody Knows du réalisateur iranien Asghar Farhadi, la montée des marches a précédé la projection du film aux critiques : aussi, la cérémonie d'ouverture n'a-t-elle pas été ternie par l'accueil très mitigé qu'il a reçu. Pour parler de ce film, en lice pour la Palme d'or, le titre circule en trois langues différentes : Todos lo saben, Everybody Knows et Tout le monde le sait. Peut-être un premier indice qu'il n'arrive pas à trouver véritablement son territoire. Pour raconter cette histoire d'une famille qui implose face à un drame, l'Iranien Asghar Farhadi est parti en Espagne pour y tourner dans un petit village avec Penélope Cruz et Javier Bardem. Les deux stars espagnoles crèvent l'écran, mais cette fois-ci, le réalisateur deux fois oscarisé (pour Une Séparation et Le Client) n'arrive pas à créer avec ces personnages cette immense richesse de vie intérieure qui est la marque de fabrique de ses autres œuvres. L'histoire démarre quand Laura, une femme belle et distinguée, incarnée par Penélope Cruz, revient avec ses deux enfants d'Argentine pour assister au mariage de sa sœur dans son ancien village en Espagne. Les retrouvailles familiales seront, bien sûr, accompagnées par une plongée dans les affres du passé : le combat autour des terres viticoles, les rapports de classe entre patron et vendangeurs, la rencontre avec un ancien amour, Paco, devenu propriétaire d'un vignoble, interprété par Javier Bardem. Fausses pistes et vrais soupçons La disparition de la fille de Laura lors de la fête de mariage fait resurgir les relations compliquées et tordues, consciemment entretenues par les membres des familles et leur entourage. Maître des sentiments inavoués, Ashgar Farhadi lance de fausses pistes, sème le trouble et les soupçons, mais rend finalement peu à peu visible la toile-araignée, tissée par les uns et les autres pour capturer leurs proies. Hélas, Farhadi a beau scruter les personnages à travers des intérieurs de maisons, d'un café, d'un salon de coiffure, d'une école, la caméra n'arrive pas à s'accrocher pour approfondir la psychologie des protagonistes. Malgré tous les chemins sinueux investis et tous les retournements de situation, le récit reste trop linéaire et prévisible, les caractères trop monochromes. Penélope Cruz semble prostrée dans son rôle de mère désespérée par le kidnapping de sa fille. Quant à Javier Bardem, on ne sent pas cette urgence dans son jeu d'acteur qui a fait sa grandeur dans les films d'Almodovar, des frères Coen ou d'Iñarritu. L'aventure espagnole d'Asghar Farhadi commence avec le tic-tac d'un mécanisme d'horlogerie et finit avec le bruit d'images étrangement appuyées d'un cinéaste qui semble avoir beaucoup perdu de sa subtilité.