Ridha Ben Hamouda suit une bande de notables follement épris de chasse et de compagnonnage qui se révèlent rapidement en fuite devant toutes sortes d'obligations. Au contact de cette nature immémoriale, ils ne savent pas qu'ils ont acquis une indépendance hors de la portée de la plupart de ces villageois qui les accueillent et demandent leur aide pour mettre fin aux vicissitudes d'un sanglier ravageur de vergers et symbole de leur seule chance de se mettre à réfléchir et à agir. Ayoub et Adem, deux amis qui échangent des propos apparemment anodins en marge d'une partie de chasse, qui joue de malchance, échangent des propos obligés pour rompre le silence. Le sujet est dangereux comme toute introspection, surtout celle qui commence par une attitude de nonchalance, avec une interrogation : Vers quel élan les autres s'élancent-ils, que cherchent-ils ? Et la réponse est pleine d'incertitude : «Un petit moment de bonheur ! N'est-ce pas un droit... un dû de la vie à chaque être humain ?». Des identités souvent contradictoires On ne sait pas à quoi ils font allusion quand ils parlent ainsi de cet hypothétique moment de bonheur. Peut-être parlent-ils de ces réunions post-chasse quand la petite troupe de leurs amis chasseurs se presse dans l'arrière-cour de Ayoub à échanger des plaisanteries et à partager le couvert. C'est là qu'ils apprennent que leur ami Hafnaoui, au loin dans la région des Vergers, les appelle à l'aide contre un sanglier, chef de clan, qui ne cesse de tout dévaster sur son passage. Ils acceptent rapidement après avoir échangé quelques propos. En tant que gens de la classe moyenne qui se respectent, ils ont très probablement mis dans la balance le fait que le mariage du petit-fils de Amm Sadeg est sur le chemin de leur destination finale. Des notables, aurait-on dit à la fin du siècle dernier... Pour eux, la chasse n'est pas une simple passion. Des identités souvent contradictoires font de cette bande un laboratoire que l'auteur rend très plaisant d'observer quand il se penche chaque fois sur l'identité particulière de l'un ou de l'autre, tentant çà et là quelques parallèles, non pas pour essayer de rapprocher car il est clair qu'il considère comme nous tous que la diversité est un franc atout, mais juste pour donner quelques notes d'homogénéité à ce que l'œil pourrait trouver bigarré. En un mot, pour Ridha Ben Hamouda, l'entrée de chacun d'entre eux dans le groupe a une histoire et toutes ces histoires peuvent être construites comme un château de cartes qui ne s'effondre que pour être reconstruit de nouveau. Fuyant les affres du quotidien, ils affluent, les journées creuses, de divers horizons et convergent dès les lueurs glaciales du premier soleil matutinal (une allusion de l'auteur à la déesse romaine de l'aube) vers la chaleur enchantée de la balade annoncée, la joie des retrouvailles et l'ivresse des promesses de la journée... L'escapade, l'amour de la nature et le besoin de retrouver, par moments, une agréable solitude dans la liberté du grand espace campagnard sont autant de raisons qui ont consolidé leur union. Seul compte le bonheur que l'on vient chercher loin des murs et des rues des villes... Les obliger à bien regarder et agir... L'épisode du sanglier qui terrorise tout le monde et que Hafnaoui a demandé à neutraliser prend des proportions étonnantes quand, du simple fait divers d'une menace somme toute habituelle dans ces régions, les choses tournent au vinaigre devant l'intervention d'un ‘'groupe de barbus'' comme les appelle l'auteur. Redresseurs de torts ou fauteurs de troubles, les avis sont partagés, ils sont menés par le jeune imam dont personne, céans, ne connaît au juste les compétences. On sait seulement qu'il a été renvoyé du lycée pour indiscipline et mauvais résultats. Suivent petits métiers et contrebande puis, du jour au lendemain, le voici en barbe et qamîs, plein d'une ferveur suspecte en regard d'une nature belliqueuse connue de tous. Très vite, on comprend qu'il cherche à assujettir tout le monde par tous les moyens. Les choses tournent court, se compliquent, mettent en opposition bien plus que ce que l'on pourrait d'abord imaginer entre ceux qui sont contre et ceux qui sont pour. L'auteur prend d'ailleurs soin de bien nous imprégner de l'atmosphère si singulière des villages où chaque comportement, chaque attitude a une signification au-delà des apparences. Un monde où les influences sont complexes et où le regard des autres est le seul mode de jugement. Impossible, dans ces conditions, de faire la part des choses entre ce que l'on pourrait appeler bien et ce qui sera sa Némésis, le mal. C'est Ayoub qui fait la part des choses dans tout cela : «Les humains ne s'expriment qu'à travers leur haine, la peur est leur moteur, ils croient que Dieu est châtiment, ils se réjouissent de l'imaginer punisseur». Une réflexion à comprendre à la seule lumière des enseignements qu'il tire de l'épisode douloureux du sanglier qu'il appelle cochon, par dérision, juste pour montrer que l'affaire n'a pu prendre cette ampleur que parce que le climat était porteur. «Ce cochon est leur seule chance, crois-moi... le seul qui les incite à réfléchir. L'avenir est entre leurs mains... Il les oblige maintenant à bien regarder et agir...». Le courage de s'en remettre au libre-arbitre, en somme. La marmite d'Ayoub, 315p., mouture française Par Ridha Ben Hamouda Editions Sud, 2018 Disponible à la librairie Al Kitab, Tunis