A la centième minute de jeu, Vida pensait envoyer la Croatie en demies. Mais non, il a fallu qu'elle craque encore une fois pour s'infliger une nouvelle séance de tirs au but ! Mais plutôt que de juger le masochisme des hommes au damier, il serait temps de saluer leur faculté à s'extirper de ces situations. Ce qui n'était plus le cas depuis vingt ans. Mário Fernandes aurait pu être le seul Brésilien en demi-finales. Et quand il reprend de la tête le coup franc de Dzagoev pour égaliser après presque deux heures de jeu, le symbole est fort : la Russie de Vladimir Poutine, montant en neige le sentiment de fierté nationale avec le fouet aussi efficace qu'inattendu du football, est encore en vie grâce à un naturalisé, né à São Caetano do Sul. Mais les Croates ne retiendront pas cette histoire, puisque le latéral russo-brésilien est surtout celui qui a bazardé sa tentative lors de la séance de tirs au but, envoyant sa balle hors du cadre. Une ambivalence avec laquelle seule l'équipe au damier peut rivaliser. Plus à l'aise techniquement que les hommes de Cherchesov, mais sans solution face au bloc russe, les Croates ont failli tomber dans le même piège que les Espagnols, tombés dans les mêmes conditions face à la Sbornaya il y a six jours, et ont surtout reproduit le même schéma que face au Danemark. C'est sûr, les coéquipiers de Luka Modrić aiment quand ça pique. Salut les galériens ! À Sotchi, les gars de Dalić ont encore une fois posé une domination stérile, avec beaucoup de passes (730 contre 400), souvent en retrait et peu d'occasions. 90 minutes qui ressemblaient bien à la purge commandée par Thomas Meunier. En prolongation et avec l'énergie du désespoir, Vida pensait avoir enfin débloqué la situation avant le coup de poignard de Fernandes. Mais ce scénario illustre une nouvelle fois les vraies difficultés des Croates avec les matchs éliminatoires. Depuis 1998 et la demi-finale en France, ils n'avaient jamais plus passé un tour éliminatoire dans une compétition internationale. Aujourd'hui, la série est brisée, mais ils n'ont toujours pas gagné de match sur le terrain. Embêtant quand on s'apprête à défier une Angleterre qui, elle aussi, a renversé une malédiction, mais de manière beaucoup plus convaincante. Au revoir les « beautiful losers » On pourrait fustiger son mental en mousse, laissant le Danemark l'enserrer dans ses bras soporifiques puis la Russie revenir au score, deux sélections qui auraient dû être avalées quand on présente une qualité technique et collective comme la Croatie. Mais il vaut mieux analyser ces qualifications comme un vrai progrès dans les rangs croates. Car ils s'en sont toujours sortis. Avec des corps meurtris, des maux de crâne, mais toujours debout. Quels que soient leurs adversaires à venir, ils ne connaîtront plus une telle configuration, puisque l'Angleterre, la Belgique ou la France ne chercheront pas à verrouiller le jeu de la sorte. Et la Croatie aura appris qu'elle sait (aime ?) souffrir. Tout l'inverse de la piteuse élimination face au Portugal à l'Euro 2016. La Croatie n'est plus que cette belle artiste incomprise, mais une sélection qui peut aller arracher son ticket avec un Daniel Subasić héroïque après s'être froissé les ischios, ou un Modrić bénéficiant d'un coup de flipper pour voir son tir au but entrer. Pas sûr qu'elle regrette son ancien personnage.