Entre le Maroc des années 1980 et celui d'aujourd'hui, Nabil Ayouch et sa compagne portent à l'écran des destins entrecroisés. Manarat se poursuit jusqu'au 15 juillet entre projections, dans les salles et dans les plages, et autres rencontres professionnelles. Le festival du cinéma méditerranéen crée une belle dynamique surtout à travers son volet professionnel avec au rendez-vous producteurs, cinéastes, agents artistiques et autres institutions. Le réalisateur marocain Nabil Ayouch était de la partie, il est également venu présenter son film «Razzia» sélectionné dans la compétition officielle du festival. Nabil Ayouch, dont le premier film «Mektoub» a remporté en 1997 un immense succès public au Maroc, ne cesse depuis 20 ans d'évoquer les sujets qui fâchent comme les enfants des rues dans «Ali Zaoua», les jeunes qui se radicalisent dans «Les chevaux de Dieu» (23 récompenses internationales) ou encore les prostituées de Marrakech dans «Much Loved»; son dernier film «Razzia» remet en cause l'arabisation de l'éducation imposée dans les années 80 et les effets pervers de l'islamisation de la société marocaine. Présenté dans son pays natal, en février 2018, après avoir participé à de nombreux festivals à l'étranger, «Razzia» est sorti, en 2017, deux ans après son film polémique «Much loved» qui avait été interdit au Maroc. Coécrit avec son épouse Maryam Touzani (qui y joue le role de Salima), ce film raconte un Maroc figé, comme en suspens et met en scène plusieurs personnages. Entre le Maroc des années 1980 et celui d'aujourd'hui, Nabil Ayouch et sa compagne portent à l'écran des destins entrecroisés. Contrairement à «Much Loved» qui avait fait scandale en montrant la vie de prostituées de Marrakech, ce dernier film a eu un grand succès au Maroc en battant les records de fréquentation. «Much Loved» a choqué parce que délivrant une réalité ordinaire d'une manière trop crue. Les femmes y étaient solidaires, fortes, refusant le rôle de la victime. «Une razzia, c'est s'accaparer ce qui ne nous appartient pas», explique Nabil Ayouch, c'est celle, aussi et surtout, que les islamistes établissent sur son pays. Le film, tourné à Casablanca, Ouarzazate et dans les montagnes de l'Atlas, s'ouvre sur une séquence où l'on voit un instituteur passionné (Abdallah, interprété par Amine Ennaji) donnant un cours en berbère sur le système solaire aux enfants d'un village de l'Atlas. Nous sommes en 1988, l'année où l'arabe est imposé à l'école. Désespéré, l'instituteur lâche l'affaire. Le film se poursuivra en 2015, avec des images de manifestations contre la réforme de la loi coranique sur l'héritage, à Casablanca. Les islamistes ont gagné, ils sont majoritaires et capables de faire descendre dans la rue une foule féminine et masculine qui manifeste ensemble contre l'égalité de leurs droits. Dans ce décor, on découvre différents personnages, celui de Salima, incarnée par Maryam Touzani, une femme bourgeoise et libre qui ne supporte plus le poids des mœurs ; Hakim, un jeune menuisier, chanteur le soir qui rêve de devenir le Queen marocain dans un pays où l'homosexualité est encore taboue. Inès (Dounia Binebine), une adolescente qui, entre une éducation permissive et l'interdit de la sexualité, découvre ses désirs homosexuels. Il y a aussi Joe, incarné par Arieh Worthalter, un Juif, victime d'antisémitisme, vivant à Casablanca qui s'occupe de son père malade et de son restaurant. C'est chez lui que travaille Ilyas, le fils d'Yto qui est venue chercher son premier amour, l'instituteur du petit village de l'Atlas. Ce sont surtout les destins féminins qui intéressent Nabil Ayouch, celui de femmes combatives et audacieuses. Mais cela prend des fois des aspects didactiques, manque de fluidité pour faire dans les extrêmes et tomber dans les contradictions. Cette résistance devient des fois désespérée et sans issue, comme c'est le cas chez Salima qui veut avorter au cas où elle attendrait une fille, «le Maroc n'est pas un pays pour les femmes», lance-t-elle. Razzia, en filmant ces individualités, des «marginaux» dans une société hostile (de par ses traditions ou de diktat religieux) qui se confrontent à un tout complexe et rêvent d'un idéal sociétal, finit par perdre de son éloquence et de sa force en occultant justement cette complexité qui caractérise la société marocaine.