On croyait le dialogue de retour entre l'Ugtt et le gouvernement Youssef Chahed. Les membres de la commission nationale administrative de la Centrale syndicale ouvrière ont opté pour l'escalade en décrétant deux grèves générales en octobre et novembre prochains. On se demande qui paiera les frais de cette fuite en avant Quand Noureddine Taboubi, Samir Majoul et Youssef Chahed s'échangeaient mercredi dernier des amabilités à l'occasion de l'augmentation des salaires dans le secteur privé, on avait cru que la tension ou la crise gouvernement-Ugtt était en voie d'apaisement d'autant plus que la rencontre tenue, lundi dernier, entre le chef du gouvernement et le secrétaire général de la Centrale syndicale ouvrière, sur médiation de Mohamed Ennaceur, président du Parlement, a laissé l'impression, au regard du changement du discours syndicaliste, que la grogne a peut-être vécu et que les syndicalistes auraient décidé que leur organisation retrouve sa vocation originelle, celle d'une organisation purement syndicale se tenant à égale distance des partis politiques et se consacrant exclusivement à la défense des droits de ses affiliés. Malheureusement, ce brin d'apaisement ou cette éclaircie n'ont pas été longs à se dissyer dans la mesure où la journée du jeudi 20 septembre, date de la tenue de la commission administrative nationale de l'Ugtt à Hammamet, a débouché sur la décision qu'on redoutait : l'annonce de deux grèves générales. La première concerne le secteur public et est programmée pour le 24 octobre prochain. La deuxième touchera la fonction publique et aura lieu le 22 novembre prochain. En plus clair, les membres de la commission nationale administrative de l'Ugtt décrètent, pour la première fois dans l'histoire de la Centrale syndicale ouvrière, deux grèves générales qui auront lieu, en l'espace de deux mois, à savoir octobre prochain, le mois de la rentrée parlementaire et du dépôt par le gouvernement de la loi de finances 2019 au Parlement, et novembre, le mois qui verra en principe les députés examiner le même projet de loi. Bloquer le service public à cette période précisément n'entraînera rien de constructif. Sous prétexte que les négociations sur la fonction publique ont pris du retard et que les entreprises publiques sont vouées à la privatisation, les syndicalistes décrètent la réaction extrême défiant le principe même des négociations. Retour aux contestations Le gouvernement a beau affirmer, à plusieurs reprises, que rien n'a été décidé et que la liste des entreprises soumises à l'Ugtt n'est pas définitive et que les syndicalistes seront associés à la définition des entreprises qui seront «bradées», du côté de l'Ugtt on demeure convaincu que le gouvernement a décidé «de se débarrasser des entreprises publiques en application des ordres du Fonds monétaire international». Et quand Sami Tahri, le porte-parole officiel de l'Ugtt, annonce la guerre contre Taoufik Rajhi, le ministre conseiller auprès du chef du gouvernement, chargé des grandes réformes, l'accusant d'avoir remis lui-même aux syndicalistes la liste et quand Bouali M'barki, SG adjoint de l'Ugtt, considéré dans les milieux syndicaux comme le second de Taboubi, a dénoncé fermement la campagne de diabolisation menée contre l'Ugtt et affirmé que les syndicalistes ont choisi de combattre la corruption jusqu'au dernier souffle, on comprend bien que l'Ugtt a perdu la bataille politique dans laquelle elle s'est engagée aux côtés de Hafedh Caïd Essebsi pour obliger Youssef Chahed à démissionner et qu'elle a choisi de réactiver ce que les spécialistes appellent la machine syndicale, c'est-à-dire les cycles des contestations dans la rue, des grèves régionales, locales et sectorielles pour parachever la mobilisation anti-gouvernement par les deux grèves générales annoncées pour fin octobre et fin novembre prochains. Certains observateurs précisent qu'en décidant de débrayer fin octobre et fin novembre prochains, les syndicalistes laissent la porte ouverte aux concertations et aux négociations entre le gouvernement et l'Ugtt dans le but de parvenir à une solution qui amènerait à l'annulation des deux grèves générales. A l'opposé, d'autres analystes dénoncent la décision de l'Ugtt, qui intervient dans un contexte politique, social et économique très difficile et au moment où les Tunisiens sont éreintés par un trop-plein de grèves, sans oublier ce que les émissaires du FMI décideront quand ils viendront le 28 septembre en Tunisie négocier avec le gouvernement le décaissement de la dernière tranche du crédit accordé à la Tunisie, laquelle tranche est estimée à près de 600 millions de dollars. Du côté d'Ennahdha, c'est l'attachement à la stabilité politique dans le pays qui prime. Aussi bien Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, que Noureddine B'hiri, chef du bloc parlementaire nadhaoui, soulignent «l'importance de la stabilité gouvernementale pour parachever la démocratie naissante en Tunisie» d'une part, et insistent sur la nécessité pour «le gouvernement de se consacrer aux grandes réformes».