«Les Bienheureux», premier long métrage écrit et réalisé par la jeune Algérienne Sofia Djema, est actuellement dans les salles Amilcar à Tunis et Cinémadart à Carthage. «Le film, tout comme le livre que j'ai écrit et qui est à la base de cette œuvre cinématographique, s'ouvre et se termine sur Alger, et sur le délitement d'un couple à travers leur déambulation dans la ville. Et s'est ajouté à cela le point de vue des jeunes qui était mon point de vue à l'époque puisque je l'ai situé en 2008. Donc voilà comment a démarré l'aventure, c'est un objet littéraire qui m'a amené à un autre, scénaristique.» C'est ainsi que Sofia Djema, jeune réalisatrice algérienne, présentait son tout premier long métrage « Les bienheureux » sorti en 2017. Elle était parmi nous pour la première de son film à la salle de cinéma Amilcar à Tunis et Cinémadart à Carthage. Résumer l'Algérie de l'après-guerre civile, en un jour et une nuit, c'était le défi qu'elle a relevé en réalisant «Les bienheureux», un film dont le titre joyeux voudrait dire tout le contraire. En prenant le recul nécessaire, Sofia Djema parvient à dresser avec lucidité, intelligence et finesse un portrait de la classe moyenne algéroise de l'époque. Pas étonnant que le film ait raflé plusieurs prix et ait été nominé dans plusieurs festivals internationaux, citons: Cinémed Montpellier 2017, Bayard 1ère Meilleure œuvre cinématographique de fiction de Namur,Festival de Venise compétition Orrizonti (Prix interprétation féminine) et Arras Film Festival 2017, le Festival Black Movie de Genève 2017 (prix du jury) et le Dubai International Film Festival 2017 (prix de la meilleure réalisatrice). «Je savais que je pouvais raconter l'histoire d'un pays par l'intimité. Et l'intimité pour moi, c'est la nuit. Et j'avais besoin de situer ça. Le paroxysme de l'histoire se situe dans la nuit. Je suis littéraire de formation, et dans la formation littéraire, il y a quelque chose qu'on appelle le voyage du héros qui est un concept lié à la nuit. Donc, pour moi, l'enjeu ne pouvait être que dans la vérité de la nuit.», a Affirmé la cinéaste. «L'absurdité d'une guerre dont on n'a pas pu faire le deuil… » Le film s'ouvre sur Alger, quelques années après la guerre civile, en 2008. Un couple aisé, Amal et Samir, fêtent leur vingtième anniversaire de mariage. Ils ne partagent plus les mêmes idées et la soirée se transforme vite en scène de ménage. Pendant ce temps, leur fils Fahim et ses amis, Feriel et Reda, déambulent dans les rues de la ville sans trop savoir où les mènera l'avenir. Au cours de la nuit, ils sont confrontés à la puissance policière de l'Etat algérien. Le film suit ces personnages très bien campés par une belle brochette d'acteurs algériens et franco-algériens : Sami Bouajila, Nadia Kaci, Amine Lansari, Lyna Khoudri, Adam Bessa et Faouzi Bensaïdi, d'abord une jeune fille Feriel qui vit seul avec son père que plus tard dans le film on comprendra que sa mère s'est suicidée pendant la décennie noire, puis le couple joué par Sami Bouajila et Nadia Kaci et l'on comprend que lui aussi a été détruit par les années de la guerre civile, puis leur fils, un peu sur le fil, il a envie de s'amuser et en même temps il est tenté par la religion. «Dans le film, il y a une opposition entre les deux générations, il y a aussi cette paralysie, cette tristesse, ce renoncement face à des jeunes qui veulent profiter de la vie, trouver un minimum d'espace et qui n'y arrivent pas. Ils sont eux-mêmes confrontés à la bigoterie et au conservatisme» explique Sofia Djema. La réalisatrice illustre judicieusement l'enfermement de cette génération désabusée en la filmant dans des cadres fermés (voitures, à l'intérieur d'une maison, regardant la ville du haut d'un balcon...) jusqu'à cette scène de l'apéritif qui focalise toutes les rancœurs et se termine en règlement de comptes entre ceux qui sont partis pour la France, ceux qui regrettent de ne pas l'avoir fait et ceux qui continuent de se voiler la face. A travers ces personnages, leurs réflexions, leurs peurs et leurs aspirations, leur tristesse et leur désarroi, leur tiraillement entre le passé et le présent, et leurs attentes de l'avenir, la réalisatrice évoque comment la décennie noire et ses séquelles ont conditionné les comportements des Algériens d'aujourd'hui. Et même si le tableau est tristement noir, il est aussi gai dans sa façon qui ne s'encombre pas de pathos, il est l'œuvre d'une vraie cinéaste qui sait faire avec les tons noir, blanc et noir et blanc. A travers ces destins croisés, peints avec une infinie tendresse, Sofia Djema nous livre une fresque politico-sentimentale authentique en hommage à tous ceux qui ont lutté contre un système extrémiste et enduré les absurdes violences d'une guerre civile dont personne n'aurait vraiment fait le deuil. Une œuvre qui vaut absolument le détour !