C'est une impression bizarre qui se dégage de la vieille bâtisse qui accueille l'Association des malades du cancer (AMC). Des malades entrent et sortent, accompagnés ou non. Sur la plupart, on décèle tout de suite la peine et la souffrance à peine voilées, et pourtant, l'ancienne faïence, le carrelage de début de siècle, les murs un peu éculés de l'endroit semblent dégager une franche énergie positive. Pas de mutisme, on se parle, on se touche, on s'encourage… et au centre de tout cela, Raoudha Zarrouk trouve pour chacun une parole aimable, un sourire, une invitation à vivre, pour que personne ne soit seul face à sa maladie. Notre interlocutrice, une battante qui a subi pas moins de dix-sept opérations sans perdre son bagou, est en phase avec les «sujets» de son association ; ces malades du cancer qui n'ont, le plus souvent, personne vers lequel se tourner, certains ayant été même abandonnés purement et simplement par leurs proches. C'est pour eux qu'elle se dévoue depuis des années, sur le pont dès 6h30, secondée par un tout petit groupe d'assistants et soutenue par les membres de l'AMC avec lesquels elle organise les innombrables manifestations qui vont à la rencontre des malades et dont certaines sont devenues des millésimes. Ophtalmologues, oncologues, psychiatres, gastro-entérologues… Tel est le cas pour la Journée annuelle de l'AMC, qui vient d'être organisée le 21 octobre à El Haouaria. «C'est la 11e Journée du genre, où nous voulions consacrer la décentralisation pour éviter que toutes les manifestations se passent à Tunis. Nous avons saisi l'occasion de la demande de la municipalité d'El haouaria pour y aller accompagnés de plusieurs spécialités : 3 ophtalmologues, des sages-femmes, des oncologues, un chirurgien-cancérologue, des psychiatres, des gastro-entérologues. Je leur en suis reconnaissante, ainsi que notre équipe et notre comité scientifique qui répondent à l'appel avec beaucoup de dévouement», explique Mme Zarrouk. «Nous avons vécu une journée extraordinaire. Nous avons eu beaucoup de monde, au moins 600 personnes, et cette caravane a été une réussite, puisque nous y avons identifié 36 cas suspects de cancer du sein et on va les prendre en charge sur la caisse de l'association, en plus du recrutement d'un cardiologue le plus près d'eux. Nous avons aussi identifié 26 cas de cataracte grâce à notre coordination avec le chef de service de l'hôpital Maâmouri à Nabeul (il nous a accordé les ophtalmologues pour la journée). Avec l'hôpital, nous nous chargeons de ceux qui ne peuvent pas payer l'opération et les lentilles», poursuit-elle. Ce n'est pas tout, puisque l'AMC a profité de la journée pour répondre à la requête du dispensaire d'El haouaria pour un siège de dentiste, en lui donnant en sus une chaise de prélèvement et un autre est en route. L'AMC a également donné 7 chaises roulantes, 5 prothèses…, des vêtements… (avec la contribution de la Rotaract de l'Ariana). Et la région devrait recevoir d'autres équipements, fruit de la promesse du ministre de la Santé qui était présent et qui a reçu les doléances de la population. Aider les malades à s'accrocher à la vie Quant au côté social, Raoudha Zarrouk nous a confié qu'il était l'un de ses premiers soucis après avoir observé au cours de toutes ces années de travail qu'une femme touchée par le cancer, c'est aussi une famille qui vacille, même après les soins. «Nous avons invité 40 femmes de la région qui ont été en contact avec nous et nous avons entamé avec elles un projet-pilote pour les former, essentiellement dans l'artisanat et les produits du terroir, notamment la tomate séchée. Nous avons demandé au ministère de la Femme de nous y accompagner et une convention a été signée entre nous pour qu'il nous aide dans le financement à chaque fois que nous avons un projet social. Sauver 40 femmes, c'est sauver 40 familles, et c'est pourquoi nous avons décidé que ce serait un projet-pilote et on va lui consacrer un local spécial. Chaque année, nous lancerons un ou deux projets», commente-t-elle. Car, des projets, elle en a plein la tête. Par exemple, avec son ‘'Sweet November'' où elle a programmé une visite à la prison de La Manouba en coopération avec la direction de la santé de base pour le dépistage du cancer du sein avec de nombreux spécialistes et 2 psy, en plus d'un luthiste pour égayer la vie des prisonnières ! Il y aura aussi une caravane pluridisciplinaire pour Kalaât Snane, le 17 novembre… «Pourtant, côté soutien matériel, c'est Dieu qui nous aide, et ce sont des particuliers qui nous soutiennent. Rien de la part de l'Etat, du ministère, de la présidence de la République», commente-t-elle. Mais ce ne sera pas son dernier mot, car elle préfère finir sur une note d'espoir et de courage : «Tout ce que je voudrais, c'est que les officiels prennent au sérieux la vie des gens, il faut que tous les services du ministère de la Santé se mobilisent vraiment pour le droit à la santé. Il nous faut un plan national pour le cancer, un registre national du cancer. Il faut qu'il y ait une égalité sociale dans les régions, à commencer par la chimiothérapie à assurer dans chaque région, car cela ne demande pas grand-chose. C'est de la sorte que nous pouvons aider les malades à s'accrocher à la vie, à être positifs». La Maison verte, refuge et réconfort Située au siège de l'AMC à deux pas des hôpitaux, la Maison verte offre actuellement 26 lits sous forme d'un espace de vie permettant de compléter le manque d'espace à l'hôpital qui ne dispose que de quelques lits pour les personnes en traitement venues des régions et ne pouvant pas rentrer chaque soir. La Maison verte offre aussi du réconfort et un soutien moral. Le personnel d'encadrement, mais aussi les bénévoles de l'association qui ont connu la même détresse, les mêmes soucis et les mêmes angoisses sont aux côtés des malades pour les soutenir pendant leur passage au foyer. Seulement, tout cela a un coût… Le budget de fonctionnement annuel est estimé pour le moment aux alentours de 45 à 50.000 DT (il sera réévalué et précisé après quelques mois de fonctionnement) et c'est là que l'AMC a besoin d'aide.