Les précisions qui ont été apportées par le ministre de l'Intérieur sur l'affaire de la chambre noire, en liaison avec le dossier des assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, ont fait l'effet d'un coup de tonnerre au sein de l'ARP. Suite à la polémique qui a été déclenchée par les révélations du comité de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi et qui sont en liaison avec le dossier de l'assassinat des deux martyrs, l'Assemblée des représentants du peuple a demandé une audition des ministres de l'Intérieur et de la Justice. La séance plénière qui a été tenue à cet effet, hier à l'ARP, a donné lieu à un débat houleux entre les députés et les deux ministres. Les membres du comité de défense se sont réjouis des affirmations du ministre de l'Intérieur, considérant que de nouvelles brèches sont apparues dans le dossier de l'assassinat. Saisissant l'occasion de la séance d'audition, le ministre de l'intérieur, Hichem Fourati, a donné un aperçu sur la situation sécuritaire en général, y compris sur l'attentat-suicide commis récemment à l'avenue Habib-Bourguiba. Lors de son intervention, le ministre de l'Intérieur a souligné que grâce à la multiplication des flux d'informations sur les menaces terroristes, les forces sécuritaires ont réussi à prendre les mesures nécessaires et adéquates pour se prémunir contre le danger terroriste qui persiste encore. À cet effet, le ministre de l'Intérieur a dressé, en premier lieu, un bilan des opérations sécuritaires antiterrorisme, à savoir la neutralisation de 7 terroristes retranchés dans les montagnes, dont Mourad Zoghlami, la découverte de 40 cellules takfiristes à travers le pays, 1.060 procès terroristes, la traduction en justice devant le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme de 1.599 individus et plus de 120 opérations de perquisition de domiciles de terroristes et d'individus extrémistes. La menace terroriste persiste Le ministre de l'Intérieur a, en outre, affirmé qu'en dépit des réussites sécuritaires enregistrées depuis le début de l'année, des mouvements suspects d'éléments terroristes ont été, néanmoins, détectés dans les montagnes, notamment dans les régions frontalières. Il a fait savoir que des indications et des informations sur des menaces d'attentats terroristes ont été enregistrées. En effet, le ministère est parvenu à déjouer plusieurs attentats-suicide contre des unités sécuritaires et militaires de la part de groupes relevant de l'organisation terroriste Daech, basés en dehors de la Tunisie. Des incitations au terrorisme et à des attentats-suicide ont été également dévoilées à travers des pages suspectes et «takfiristes» sur les réseaux sociaux. Toujours dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la contrebande, un secteur étroitement lié au terrorisme, M. Fourati a affirmé que plus de 1.072 procès ont été intentés depuis le début de l'année. Environ 44 personnes ont été inculpées pour contrebande et des marchandises d'une valeur de 50 millions de dinars ont été saisies. Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur a affirmé que le climat dans lequel travaillent les forces sécuritaires et militaires est en perpétuel changement, et ce, en raison des récentes évolutions sur le plan géopolitique, mais également technologique, que le monde est en train de vivre. A cet égard, il a précisé que de par la diversité des moyens dont se servent les terroristes, le ministère est appelé à prendre les mesures nécessaires lui permettant une mise à niveau technologique, juridique et culturelle des moyens utilisés par les forces sécuritaires. Nouvelles révélations sur l'attentat-suicide de l'avenue Habib-Bourguiba Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur s'est attardé sur les nouvelles révélations concernant l'attentat-suicide commis par la kamikaze Mouna Guebla le 29 octobre dernier à l'avenue Habib-Bourguiba. Les résultats préliminaires de l'enquête ont révélé que l'auteure de l'attentat s'est servie de l'internet «nouvelle orientation pour les organisations terroristes», selon le ministre, pour communiquer avec une organisation terroriste, et ce, suite à son adhésion à des groupes terroristes via des canaux de communication secrets, après avoir prêté allégeance à Daech. Elle était en contact avec des leaders des groupes terroristes installés dans les montagnes en Tunisie. M. Fourati a ajouté que la kamikaze s'est entraînée à fabriquer des explosifs en se référant à des manuels publiés sur les sites terroristes appartenant à l'organisation et ces derniers lui ont appris comment concevoir l'explosif qui a été utilisé dans cet attentat. C'est ainsi qu'elle a pu plus ou moins façonner manuellement une bombe artisanale et s'en servir pour commettre l'attentat-suicide. Le ministre de l'Intérieur a déclaré qu'une quantité de matière première utilisée dans la fabrication de l'explosif a été saisie au domicile de la terroriste à Mahdia. Il a également affirmé que les unités sécuritaires chargées de l'enquête sur cette affaire ont pu retracer l'itinéraire suivi par l'auteure de l'attentat, dès son départ de son domicile à Mahdia jusqu'à son hôtel à Tunis, à Bab Souika. Jusque-là, aucune implication d'un deuxième élément n'a été révélée, soutient-il. Des éléments dangereux arrêtés et attentats avortés Dans le même contexte, le ministre de l'Intérieur a précisé que les forces sécuritaires ont réussi à mettre en échec plusieurs attentats prévue durant cette période. Il a expliqué que les arrestations qui ont été menées récemment témoignent à la fois de la réussite du ministère de l'Intérieur à combattre le terrorisme, mais également de la résolution des éléments et des groupes terroristes à semer la terreur dans les rangs non seulement des sécuritaires mais également des citoyens. Les unités spécialisées ont pu arrêter plusieurs éléments terroristes dont un homme classé «très dangereux» qui a prêté allégeance à Daech. Le terroriste en question a utilisé une partie de son domicile comme laboratoire d'expérimentation. Une quantité importante de produits destinée à la fabrication des explosifs, des gaz toxiques et des explosifs commandés à distance, outre un avion de type drone, a été découverte au domicile de cet élément terroriste. Le ministre de l'Intérieur a déclaré que, le terroriste planifiait des attentats simultanés dans plusieurs zones, ciblant des unités sécuritaires. Les unités ont pu également, arrêter un élément qui n'a jamais été répertorié auparavant par les unités sécuritaires en train de planifier un carnage visant des unités militaires. Un autre élément terroriste en liaison avec des terroristes installés dans les montagnes a été arrêté en train de collecter des fonds «ktitab» pour des éléments terroristes dans les montagnes. Un individu a été également détenu en raison de sa liaison avec un leader du groupuscule «Okba Ibn Nafaâ». Les unités spécialisées ont dévoilé son plan d'attaque avec des couteaux visant des militaires et des sécuritaires. Les interrogations persistent Au sujet de la « chambre noire », le ministre de l'Intérieur, M. Fourati, a évoqué dans un ordre chronologique les étapes et les événements qui se sont succédé dans l'affaire Mustapha Khedher, membre du mouvement Ennahdha et principal accusé dans cette affaire tentaculaire. Tout d'abord, le ministre a commencé par affirmer qu'il a ordonné une enquête suite aux révélations dévoilées par le comité de défense. Il a déclaré que le ministère n'a jamais nié la saisie de la justice des documents appartenant au ministère de l'Intérieur. Toutefois, il a nié l'existence d'une chambre noire dans la mesure où l'expression «chambre noire» désignée pour décrire un espace qui se trouve au sein du ministère fait allusion à un espace hors du contrôle du ministère de l'Intérieur. En outre, M. Fourati a affirmé, qu'il s'agit d'un «espace» au sein du ministère de l'Intérieur, relevant de la direction des archives et l'information automatique. Cet espace est composé d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage, au sein d'un établissement à trois étages. Il comporte plusieurs bureaux équipés pour la documentation et l'archivage. On y trouve le bureau concerné par cette affaire. Il est sécurisé par des agents et mis sous surveillance 24/24 par des caméras. Le ministre a explicitement mentionné que le juge d'instruction du bureau N°12 relevant du pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme a signé un PV du 13 novembre 2018, qui comporte un ordre pour mise pour examen des documents qui ont été saisis, au rez-de-chaussée de la direction de la documentation et de l'information automatique. Il a également rappelé que l'unité nationale spécialisée dans les crimes terroristes, relevant de la police judiciaire, a entamé, en 2013 une enquête sur une affaire qui fait l'objet de suspicion d'appartenance de Mustapha Khedher, membre d'Ennahdha, à un organisme secret et sa détention de documents sécuritaires et des appareils électroniques. L'accusé est détenu depuis décembre 2013. Une partie des documents saisis dans le domicile de l'accusé Mustapha Khedher, a été récupérée. Le restant des objets saisis a été livré à des structures administratives spécialisées relevant du ministère de l'intérieur, pour mise en examen, et ce, en raison de l'importance des documents saisis qui faisaient partie des documents de renseignement. Une expertise pour la mise en examen ces documents et des appareils saisis a été ordonnée le 25 décembre 2013. Ensuite, le 7 mars 2016, un inventaire du reste des documents et des équipements saisis et mis sous scellé dans ledit bureau a été ordonné et exécuté en présence de l'huissier de justice qui a entamé l'enquête en 2013. Le ministre de l'Intérieur a conclu par affirmer que le 9 novembre 2018, le juge d'instruction a procédé à un changement de la serrure du bureau en question. Le 13 novembre du mois en cours, le juge a réouvert ce bureau pour saisir les documents et les appareils saisis, dans le cadre de l'affaire judiciaire relative à Abou Bakr Al Hakim et ses complices. Pour les membres du comité de défense, le laps de temps qui sépare décembre 2013, la date de récupération d'une partie des documents fuités du ministère par Mustapha Khedher, et mars 2016, la date où a été ordonné un inventaire et la mise sous scellés du restant des documents saisis, constitue une confirmation de leur hypothèse et ouvre une nouvelle brèche pour enquêter sur le dossier. De son côté, le ministre de la Justice, récemment nommé à la tête du ministère, a appelé à l'impératif de réviser le Code pénal ainsi que les procédures judiciaires pour les mettre en adéquation avec les dispositions de la nouvelle constitution.