Si la question de la hausse des prix et de la détérioration du pouvoir d'achat est un sujet d'actualité et fait l'objet de grands débats en Tunisie en raison des tensions sociales qui en découlent, celle du gaspillage alimentaire mérite bien qu'on s'y attarde. A l'instar des statistiques alarmantes relatives à la hausse des prix dans le pays, qui choquent et exigent la mise en place de stratégies et de plans d'action susceptibles de sensibiliser la population. Lors d'une conférence organisée autour du thème du gaspillage alimentaire, ce jeudi, à Gammarth par la FAO, bureau sous-régional pour l'Afrique du Nord, une panoplie de spécialistes s'est penchée sur la question du gaspillage, son ampleur et les voies de sa réduction. Cette conférence vient couronner les travaux déjà entamés par l'Institut national de la consommation en 2016 sur le gaspillage alimentaire, particulièrement du pain, et ceux réalisés en 2017 par la FAO en collaboration avec le ministère de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche pour l'évaluation des pertes et du gaspillage des produits céréaliers et laitiers, dans le cadre du projet « Réduction des pertes et gaspillage alimentaire et développement des chaînes de valeur pour la sécurité alimentaire en Egypte et en Tunisie », financé par la Coopération italienne. Gaspillage dans un contexte économique bien difficile Selon une étude préliminaire présentée par le professeur Raoudha Khaldi, consultante à la FAO, la perception des pertes par les agriculteurs est de 97% à Bizerte et à Siliana. Les principaux stades de perte se situent durant la récolte (62% à Bizerte) et avant la récolte (57% à Siliana). Le volume des pertes post-récolte et au stockage est de 21.200 quintaux, ce qui peut être traduit par une perte de 12MDT et une empreinte de terre de 11.000ha. Ce volume correspond à une production destinée à la consommation d'environ 285 mille personnes (l'équivalent des populations à Tataouine et Tozeur). La valeur de la perte pour le lait à Bizerte et Mahdia est de 19 millions de litres, c'est-à-dire l'équivalent de 19 millions de dinars. Ce volume correspond à la production du gouvernorat de Kasserine pour environ 3.000 éleveurs. Ces chiffres sont constatés alors que notre pays importe plus de 80% de ses besoins en blé tendre pour le pain, avec une dépréciation continue du dinar tunisien face aux monnaies d'échange et une situation de déficit public important. Sans compter le manque de pluviométrie qui affecte sensiblement la production agricole et le niveau de pauvreté qui atteint plus de 15%, soit près de 2 millions de personnes en pauvreté ou pauvreté extrême. Notre pays enregistre un score de l'Indice Global de la faim de 5,5 sur 100, le classant 18e à l'échelle mondiale (Ifpri, 2016), et la part des personnes sous-alimentées est passée de 1% de la population en 1992 à 0,4% en 2016, selon le même rapport. La Tunisie présente de plus en plus de personnes souffrant de maladies liées à l'alimentation, soit 50% de la population seraient en surpoids (37% des femmes et 13% des hommes sont obèses), 30% souffriraient d'hypertension artérielle, 12% de diabète et les maladies cardiovasculaires sont la première cause des décès, selon un rapport de l'OMS publié en 2018. Une perte annuelle de 500 MD Le ministre du Commerce, Omar Behi, a, de son côté, expliqué qu'environ 900 mille baguettes sont jetées à la poubelle chaque jour, c'est-à-dire l'équivalent de 100 MD par an, ce qui nécessite des concertations et des réflexions autour de cette épineuse question du gaspillage qui nous coûte une perte annuelle de plus de 500 MD. La part approximative des rejets des aliments pour le ménage est de 15% pour le pain, 10,2% pour les produits céréaliers, 6,5% pour les légumes, 4,2% pour les fruits, 2,3 % pour les produits laitiers, 1,9% pour les viandes, selon les statistiques présentées par Tarek Ben Jazia, directeur général de l'Institut national de la consommation. Mais pour le représentant de la chambre syndicale des boulangers, Hakim Selmi, le gaspillage du pain est dû à la surproduction et la prolifération de boulangeries anarchiques et du secteur informel. Trois expériences entrant dans le cadre de la lutte contre le gaspillage ont été passées en revue, dont l'expérience du lycée Gustave-Flaubert à La Marsa, et la création de l'application Gaspi-Stop par de jeunes étudiants. L'approche stratégique de lutte doit prendre en compte la collecte des données, la sensibilisation et la promotion des données pratiques, l'élaboration des politiques et régulations appropriées, le renforcement de la collaboration et la promotion des investissements ainsi que l'analyse des habitudes de consommation et l'identification des causes du gaspillage, a souligné la représentante du bureau régional de la FAO, Paola Castelgrande, à la fin de la conférence. Le gaspillage en chiffres - Plus de 113 mille tonnes de pain sont jetées chaque année par les Tunisiens, soit 42 kg/ménage/an. - 1/3 des plats préparés par les Tunisiens est jeté durant le mois de Ramadan. - Le gaspillage alimentaire coûte aux ménages tunisiens 5% de leurs dépenses alimentaires. - 68% des déchets ménagers en Tunisie sont organiques, et le pays n'en recycle que 5% seulement. - Dans 67% des restaurants universitaires, les restes des plats sont jetés. - 93% des étudiants gaspillent du pain et 70% déclarent prendre plus que leurs besoins.