«La justice transitionnelle à l'étape post-IVD : apprendre des expériences comparées» est le thème du séminaire organisé hier par le Centre international pour la justice transitionnelle (Ictj). Des experts internationaux y ont présenté les grandes lignes de l'expérience sud-africaine et kényane. A quelques jours de la fin du mandat de l'Instance vérité et dignité (IVD), les interrogations concernant la poursuite du processus de justice transitionnelle vont bon train. La controverse récente à l'ARP et ailleurs parmi les élites politiques autour du Fonds pour la Dignité dédié aux réparations des victimes de la dictature en est la preuve. Ainsi mardi soir, la Commission des finances au Parlement a voté contre les deux propositions de Nida Tounès concernant la suppression du Fonds pour la dignité et l'annulation des contributions de l'Etat à cette caisse de réparations pour les années 2019, 2020 et 2021. Cette polémique est-elle un avant-goût de ce qui adviendra dans les mois à venir ? Probablement, semblent dire les organisateurs du séminaire tenu hier par le Centre international pour la justice transitionnelle (Ictj) sur le thème : «La justice transitionnelle à l'étape post-IVD : Apprendre des expériences comparées». Frustrations, marginalisation et déceptions Mais les expériences comparées ne sont pas allées très loin dans le dédommagement et la réhabilitation des victimes. Celles qui ont été citées hier à Tunis ne semblent qu'avoir engendré frustrations, marginalisation et déceptions parmi les rescapés des conflits armés, de l'Apartheid et des guerres civiles. Marjorie Jobson, de l'Afrique du Sud, dirige l'Association Khulumani, qui aide les victimes de l'Apartheid et leurs familles. Au pays de Mandela, 20 000 victimes ont été entendues par la Commission vérité et réconciliation, qui a fini son mandat prématurément en 1997. Seize mille d'entre elles ont été identifiées comme ayant droit à des réparations. Mais les gouvernements successifs n'ont pas voulu mettre en pratique ce volet précis des recommandations de la commission vérité, ni cherché à poursuivre les responsables des violations. L'Instance a recommandé de faire bénéficier les victimes et leurs enfants de l'accès aux soins, au logement, à l'éducation et aux services sociaux. «Mais rien de tout cela n'a été réalisé !», affirme Marjorie Jobson. «Pis encore, les fonds alloués aux régions et aux villages où se concentrent les anciennes victimes, sous la forme de réparations collectives, ont été volés ou détournés par les mairies», ajoute l'intervenante. Les limites de cette expérience, pourtant souvent citée en exemple, trouvent un écho au Kenya, qui a vu s'installer une commission vérité en 2008 suite aux violences ethniques meurtrières qui ont longtemps balayé le pays, dépossédant des populations de leurs terres et interdisant à des ethnies le droit de recevoir une éducation ou même une carte d'identité. «La société civile devrait s'unir et se mobiliser» Cette expérience a été présentée par Christopher Kitari, directeur du bureau de l'Ictj au Kenya. Le mandat de la commission consistait à examiner, analyser et rendre compte de ce qui est arrivé entre 1963 et 2008 en ce qui concerne les violations flagrantes des droits de l'Homme : les crimes économiques, l'acquisition illégale de terres publiques, la marginalisation des communautés, la violence ethnique…Mais lorsque la Commission vérité, justice et réconciliation (Cvrj) a émis son rapport final de 1.000 pages et l'a soumis au président de la République, celui-ci a supprimé plusieurs pages concernant sa famille, qui a été à l'origine du vol des terres à des tribus Massai. Des membres de la commission refusent alors de valider cette version du rapport. D'autre part même modifié, le Parlement refuse de son côté d'adopter le rapport. «Certes des responsables sécuritaires ont été démis de leurs fonctions lors d'une action de vitting mais pour cause de crimes de corruption et non pas pour leur violation des droits de l'Homme», ajoute Christopher Kitari. Que peuvent apporter ces expériences très peu abouties à la Tunisie ? «Il nous faudrait oublier nos différends en tant que société civile, pour nous unir et nous mobiliser autour de la continuité du processus comme nous l'avons fait lorsque l'ARP a émis un veto contre la poursuite du mandat de l'IVD. Il y va de l'avenir pacifié et réconcilié de ce pays», affirme Houcine Bouchiba, président de la Coalition tunisienne pour la dignité et la réhabilitation. Mais pour Karim Abdessalam, qui préside une autre association de victimes, l'Association Justice et réhabilitation, aucune expérience de justice transitionnelle n'a satisfait totalement les victimes. «Car les pays en transition sortant de zones de conflits qui ont épuisé leurs ressources ne peuvent que compenser partiellement les pertes subies par les victimes», a ajouté l'intervenant.