Spécialiste de l'investigation et de la mémoire au sein du Centre international pour la justice transitionnelle (Ictj), Howard Varney était parmi nous. Il a dirigé une session de formation pour les membres de l'Instance nationale pour la prévention de la torture (Inpt). Rencontre Vous avez assisté en mars dernier en Tunisie à un séminaire sur les archives de l'Instance vérité et dignité (IVD). Le débat tournait autour de la question : «A qui revient la préservation des archives de l'IVD ?». Qu'en avez-vous pensé ? D'une manière générale, dans les expériences comparées, il existe deux manières de faire. Soit préserver ces archives liées à la répression dans les établissements des Archives nationales, soit les confier à des institutions créées spécialement à cette fin. Les deux stratégies présentent chacune des avantages et des inconvénients. Il n'y a pas de raisons pour que les Archives nationales ne reçoivent pas ces dossiers de la dictature si elles disposent d'une logistique nécessaire pour leur protection et leur exploitation. Or, parfois ces établissements officiels, notamment lorsque le pays sort d'une période de conflit et de guerre et que les institutions sont pratiquement détruites, n'ont pas de ressources et ne sont pas organisées pour mettre ces archives à la disposition des chercheurs et du public. Ce choix est alors peu approprié. C'est ce qui est arrivé en Afrique du Sud par exemple, où par manque de volonté politique et de moyens financiers les archives ont été déposées dans de grands containers et finalement abandonnées. Même pour accéder à des documents non confidentiels, il fallait disposer d'une autorisation des tribunaux. A la fin, les Archives nationales ont lamentablement échoué à garantir l'accès aux dossiers de l'Apartheid. Au Timor –Leste par contre, on a compté sur les fonds internationaux pour financer le projet de création d'une institution spécialisée dans la valorisation des archives et de la mémoire. Par quoi expliquez-vous que la mémoire de la répression constitue un enjeu pour les populations ayant subi des traumatismes ? Il est très important de préserver la mémoire, ce patrimoine immatériel des peuples, de manière à ce que les générations futures soient éduquées et imbibées de la culture de la protection des droits humains. Afin également de combattre l'impunité et garantir la non-répétition des violations graves. D'autre part, pour les familles des victimes recueillir cette mémoire incarne presque une reconnaissance des abus du passé et une réhabilitation d'une dignité bafouée. Quels sont les contre-exemples les plus marquants que vous avez rencontrés à travers vos missions concernant la préservation de la mémoire ? Tous les pays qui se sont opposés à la mise en œuvre des recommandations du rapport final de la commission Vérité, dont le Kenya par exemple, ont échoué dans la protection de la mémoire. Les autorités de ce pays ont même refusé de publier le rapport de leur commission. Pourriez-vous citer quelques exemples réussis concernant la construction et la protection de la mémoire du passé? Il y a bien sûr des success stories dans ce domaine. Dans des pays d'Amérique Latine, au Pérou et au Chili, des institutions ont été mises en place pour prendre le relais par rapport aux commissions vérité afin de poursuivre le travail sur la mémoire. Elles ont œuvré pour rendre les archives accessibles et organiser des expositions sur le passé, où la dimension pédagogique et didactique étaient bien développées. En Sierra Leone, un pays très pauvre, on a fait des choses très intéressantes. Avec l'ouverture du nouveau siège de la Cour spéciale, le pays a décidé de déposer les archives de la commission vérité dans le local de l'ancienne cour en y rajoutant les dossiers de la cour spéciale. Ce projet a reçu l'appui financier de la communauté internationale. Du coup, on a réussi aussi à créer un musée baptisé « Le musée de la Paix », qui a ouvert ses portes en 2013, dix ans après la fin de la guerre civile. Le musée s'est engagé à continuer à chercher les archives et à transmettre la mémoire des années de répression aux élèves, aux jeunes et aux touristes qui visitent le pays. Qui est le plus légitime pour organiser la mémoire à votre avis ? Beaucoup d'acteurs peuvent jouer un rôle crucial dans la préservation de la mémoire. La commission Vérité elle-même à travers ses recommandations sur les façons dont la mémoire peut être protégée et mise en lumière. Certaines commissions s'assurent avant la fin de leur mandat que les documents et objets rassemblés pendant leurs travaux seront bien préservés pour éviter toute éventuelle perte des traces du passé. Bien sûr, les victimes et leurs familles peuvent s'associer également à une stratégie visant la protection et la commémoration de la mémoire. Les autorités sont également partie prenante de cette opération, à travers les Archives nationales et d'autres institutions dédiées à la mémoire. Il ne faut pas oublier les établissements éducatifs qui ont un intérêt particulier à ce que cette mémoire soit recueillie, transmise dans les manuels scolaires et mise à la disposition des chercheurs. En Tunisie, la société civile s'est beaucoup impliquée dans le processus de justice transitionnelle. Quel rôle peut-elle avoir dans la préservation de la mémoire ? La société civile peut continuer à jouer un rôle important à ce niveau. Elle doit faire le suivi des dossiers des victimes, toutes celles qui ont recouru à l'IVD pour présenter leurs plaintes. Et s'assurer que ces données personnelles sont bien protégées. Si ce n'est pas le cas, la société civile doit mettre la pression ou faire du lobbying pour une meilleure prise en charge de ce fonds.