« Qui écoute ma voix aujourd'hui ? » est le titre du rapport du Centre international pour la justice transitionnelle (Ictj) sur les femmes victimes indirectes qui a été présenté avant-hier à Tunis. Il couvre 250 femmes vivant dans neuf gouvernorats et victimes des diverses crises politiques qu'a connues le pays depuis soixante ans Dr Doris H. Gray est professeur associée à l'Université Al Akhawayn d'Ifrane, au Maroc. Ses domaines d'expertise vont du droit des femmes au Maghreb et des questions d'égalité en Afrique du Nord à la justice transitionnelle en rapport avec le genre en Tunisie. C'est à elle que le Centre international pour la justice transitionnelle (Ictj) a confié la préparation du rapport sur les femmes victimes indirectes tunisiennes, intitulé : « Qui écoute ma voix aujourd'hui ? ». Le rapport, qui a été présenté avant-hier à Tunis et dimanche dernier à Sfax, a couvert 250 femmes vivant dans neuf gouvernorats du pays, des victimes indirectes de toutes les crises et dissidences politiques, du youssefisme au communisme, au syndicalisme et à l'islamisme. Il est basé sur des interviews qui se sont déroulées entre juillet et décembre 2017. Discrimination positive Et si la victime directe est celle qui a subi un préjudice pour avoir exprimé une opposition au pouvoir en place, la victime indirecte affronte les répercussions de son lien avec le prisonnier d'opinion. Ce sont des épouses, des mères, des sœurs ou des filles de dissidents politiques. Ce sont aussi les mères des martyrs de la Révolution. La première catégorie a souffert de discrimination, d'exclusion, de harcèlement et de répressions policières. Privées volontairement de poursuivre des études et de toute ressource économique, seules sans le père de leurs enfants, elles ont été obligées de travailler en tant que femmes de ménage pour subvenir aux besoins de leurs familles et parfois même poussées au divorce d'avec un homme aimé à coups de pressions du pouvoir. « Il est arrivé que des victimes indirectes connaissent plus de souffrances encore que celles qui sont jetées dans les geôles ou torturées. Une dame nous a confié : « Mon mari était incarcéré et moi j'affrontais une prison plus large encore : la Tunisie tout entière », déclare Dr Doris H.Gray. Les enfants, eux, continuent à vivre un trauma visible à travers la peur, qui les accable et rend plus que vulnérables sur le plan psychologique. Certains se révoltent aujourd'hui contre les prises de position politiques de leurs pères envenimant les relations familiales. « Taxé de « criminel » par leurs camarades à l'école, le père de certains enfants de prisonniers politiques a participé sans le vouloir à stigmatiser sa progéniture », ajoute le Professeur Gray. Le document de 39 pages cite beaucoup de récits de femmes confiés à l'auteur sur le ton de la confidence et à travers un élan de confiance. Respectant l'anonymat des témoins, le Professeur Gray a changé les prénoms des victimes indirectes. Parmi les recommandations du rapport : « Qui écoute ma voix aujourd'hui ? » : inclure dans le rapport final de l'IVD une section visant les victimes indirectes, leurs expériences, leurs demandes et leurs besoins spécifiques. Mais également les intégrer dans les excuses publiques présentées aux rescapés de la répression, leur prodiguer les thérapies et les soins nécessaires, faire bénéficier leurs enfants d'une sorte de discrimination positive au niveau de l'accès aux études et à l'emploi.