L'exposition «Les voix de la mémoire » s'ouvre aujourd'hui à 14h00 au Club Tahar-Haddad. Une conférence de presse a été organisée avant-hier pour présenter les grandes lignes de ce projet qui restitue le supplice des femmes sous l'ancien régime En janvier 2017, huit femmes tunisiennes, dont des anciennes victimes de l'ancien régime, ont été invitées par l'université de Birmingham. Au cours de la rencontre qui a suivi, les discussions ont tourné sur des pistes de sujets liés à la mémoire pouvant émerger d'un tel échange entre les unes et les autres de différentes générations et portant diverses histoires et vécus. Les ateliers de travail se poursuivront à Tunis au cours de l'année 2017 puis 2018. Ils sont organisés par le Centre international pour la justice transitionnelle (Ictj) et l'Université de Birmingham. Museum Lab rejoindra les initiateurs du projet dès que le thème de la « koffa », le couffin de nourriture transmis aux prisonniers, devient au fil des mois le centre du travail du groupe. Ce qui va inspirer par la suite, grâce aux récits des femmes victimes, les œuvres des artistes plasticiens. Pour présenter ce projet muséographique et artistique et annoncer le vernissage de l'exposition «Les voix de la Mémoire » qui aura lieu aujourd'hui samedi 22 septembre à 14h00, au Club Tahar Hadad, une conférence de presse a été organisée avant-hier au Club Tahar Hadad. Les femmes au couffin « Cet événement que nous avons monté rend hommage à toutes ces femmes, des victimes indirectes et en même temps tellement directes qui effectuent chaque semaine une course d'obstacles pour pouvoir ramener le couffin à un mari ou à un proche », déclare Meriem Chaouachi, responsable du projet « Les voix de la Mémoire » à l'Ictj. Symbole d'amour et de résilience face à la répression, cette « Koffa » incarne aussi un fardeau économique pour les femmes, qui n'ont pas toujours les moyens financiers nécessaires pour remplir ce panier des mets préférés de la personne incarcérée. « Nous avons voulu, en mettant en place ce parcours muséographique, faciliter un dialogue sur les questions du passé et chercher d'autres moyens pour transmettre un message. L'art nous permet de transcender les divergences politiques qui peuvent éclater dans une société », ajoute Virginie Ladisch, de l'Ictj. L'exposition offre au public une expérience interactive particulière, aboutissant à la fin du parcours à une plate-forme de commémoration, dans laquelle les visiteurs peuvent enregistrer leurs propres témoignages dans une salle de réflexion désignée. Lieu d'histoire vivante, lieu de l'histoire du temps présent, « Les voix de la Mémoire » veut ressusciter un vécu complexe à travers les scénographes Marouen et Taieb Jallouli, la lumière d'Ahmed Bennys, les créations sonores de Wissam Ziadi et un parcours didactique alterné d'œuvres contemporaines réalisées par Wiem Haddad, Salma Wahida, Abdesslam Ayed, Mohamed Ben Slama, Nabil Saouabi, Lasaad Ben Sghaier, et Najah Zarbout. Comme une courbe dramatique L'exposition muséographique et interactive réécrit le parcours du couffin, à travers la fouille, le parloir, l'aria (l'aire de promenade des prisonniers) et la délivrance. « Une courbe dramatique basée sur les émotions », souligne le scénographe Marouane Jallouli. A la fin de la visite guidée par groupes de six par des médiateurs une salle de réflexion et de témoignages est prévue pour accueillir d'autres récits et d'autres histoires. Mais « Les voix de la Mémoire » ne s'arrête pas à l'exposition qui se poursuit jusqu'au 29 septembre à Tunis puis se déplacera au Kef (du 20 au 27 octobre), ensuite à Sfax (du 24 décembre au 2 janvier) et enfin à Redeyef (du 15 au 22 décembre). Trois autres volets sont prévus : la publication d'une BD, très bientôt, la sortie d'un livre en décembre et la diffusion de podcasts radiophoniques dans les jours qui viennent. Pour Khadija Salah, participante au projet et ancienne activiste politique longtemps harcelée par la police, « Les voix de la Mémoire » a représenté une thérapie. De victimes, nous sommes passées à actrices et maîtresses de notre destin. Même si au départ, nous avons toutes pleuré en évoquant les années de plomb, nous avons fini par en rire et par prendre distance avec les épreuves du passé », insiste l'ancienne victime. Najet Gabsi : «Le couffin de ma dignité» Ancienne syndicaliste, Najet Gabsi, 49 ans, a été emprisonnée pendant six mois à Sousse et à Messadine, alors qu'elle poursuivait des études universitaires au début des années 90. Najet a fait partie du collectif de femmes ayant participé au montage des «Voix de la mémoire ». Elle témoigne : «El koffa, (le couffin) représentait pour moi un message d'amour. Il transmettait l'intérêt et l'attention de ma famille à mon égard». «Non, nous ne t'avons pas oubliée !» me disait-il. Le couffin était le symbole de ma dignité à l'intérieur des murs de l'espace carcéral. C'est aussi la garantie d'une nourriture saine et hygiénique pendant plusieurs jours. Rien à voir avec le ragoût infect et douteux à base de carottes qu'on nous servait dans de grandes gamelles en fer». Le couffin favorise également le partage et l'amitié dans cet espace de dénuement. Les autorités semblaient conscientes du «pouvoir» du couffin. D'où, ajoute Najet : «Toutes les restrictions qu'elles imposaient sur les aliments introduits en prison. Ma mère était souvent à la merci des gardiens, qui selon leur humeur, interdisaient ou permettaient le passage du couffin. Nous priver du couffin était la pire des punitions !», se rappelle cette ancienne victime. C'est bien après sa sortie que Najet Gabsi découvre les économies et les sacrifices endurés par sa famille afin de se procurer le prix du couffin. Elle se souvient : « Mon frère a dû vendre sa voiture et ma mère subir un long trajet et également fouilles, réprimandes et humiliations pour me faire parvenir ce bien inestimable et qui mérite de ne pas tomber dans l'oubli. Car que savent les nouvelles générations de toutes ces violations des droits de l'Homme ?». Propos recueillis par O.B.