Le journaliste ne doit jamais s'afficher ou s'annoncer sous la bannière d'un parti politique, il doit être à la bonne distance de tous les partis. L'opinion publique se forme et se fabrique essentiellement à travers l'effet mainstream Invité par l'Alliance française de Tunis, le journaliste français Patrick Poivre D'Arvor a donné une conférence, jeudi 21 décembre, à l'Ecole nationale d'administration, sous le thème «Ethique dans le journalisme politique». Retrouvant un public melting-pot, Ppda a voulu partager son expérience de longues années avec des participants venus à sa rencontre. Politiques, journalistes, avocats, jeunes et moins jeunes étaient au rendez-vous pour rencontrer la figure emblématique du journalisme télévisé français. Au début de la conférence, le président d'Alliance française, Bassem Loukil, a souligné l'importance du thème qui a été choisi, vu le contexte politique délicat par lequel la Tunisie est en train de passer. Eloquent, humble, parfois espiègle, Ppda est passé subtilement d'un sujet à l'autre. Il a parlé de l'impact des réseaux sociaux sur l'information, des Fake news, de la responsabilité personnelle, de la géopolitique, du savoir-faire et du savoir-être du journaliste politique. Ayant vécu des moments internationaux forts tout au long de sa carrière, Ppda a évoqué l'émergence, par ricochet, des fautes informatives intentionnelles, communément appelées « Fake news » durant ces moments. Un phénomène qui se renforce de plus en plus avec l'ingérence des puissances étrangères, qui essayent parfois de déstabiliser « l'ennemi », soutient-il. « Un phénomène vieux comme le monde. Il a existé depuis la révolution française. Tout le monde se souvient du fallacieux dire de Marie Antoinette : «Qu'ils mangent de la brioche ! Lors du déclenchement de la révolution française. On continue à nous le sortir à chaque déclenchement d'un mouvement social », raconte Ppda. Empiètement des réseaux sociaux Comment le journalisme évoluera à l'ère des réseaux sociaux ? Une question qui taraude les journalistes et plus généralement la sphère médiatique. Elle était manifeste à travers les questions posées par les participants. A ce sujet, Patrick Poivre D'Arvor était optimiste. « Contrairement à l'idée reçue qui prétend que les réseaux sociaux présentent une menace pour le métier du journaliste, je pense que le journalisme offre énormément d'opportunités aux journalistes même dans la presse écrite », a-t-il indiqué. Toutefois, il a mis en garde contre l'empiètement des réseaux sociaux sur l'information. Même s'ils présentent des avantages comme l'instantanéité — qui n'est, d'ailleurs, pas bénéfique dans tous les cas — et la continuelle liaison avec le monde, les réseaux sociaux présentent assez d'inconvénients qui engendrent le report de la réflexion — une des principales fonctions du journaliste — au deuxième rang. A cet égard, il a souligné l'importance du recoupement des informations, de leur tri par degré d'importance et même de patienter avant de publier l'information : les fondamentaux du métier du journalisme. Volonté du politique tunisien d'accaparer les médias Répondant aux questions qui affluaient pendant une quarantaine de minutes, Ppda n'a pas omis d'évoquer des cas tirés de son expérience professionnelle. Au fameux sujet des douteuses allégeances politiques des médias ou des journalistes et leur impact sur la crédibilité de l'information, Ppda a affirmé que dans un paysage médiatique pluriel, il est un fantasme de croire que les patrons des médias ou les politiques appellent les rédactions pour leur donner des consignes afin de fabriquer l'opinion publique. « La connivence existe parce que nous sommes tous venus d'une quelconque région, nous sommes de telle religion…etc. Mais le journaliste ne doit jamais s'afficher ou s'annoncer sous la bannière d'un parti politique. Et de toutes les manières, un journaliste doit être à la juste bonne distance politique. L'opinion publique se forme et se fabrique, essentiellement à travers l'effet mainstream. Et les gens ont beaucoup de bon sens», explique Ppda. Intervenant au même sujet, le président de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux (Ftdj), Taïeb Zahar a lancé un cri de cœur sur les difficultés importantes qu'affronte la presse en Tunisie, notamment la presse écrite, en raison de l'absence de politique publique en matière de subventions des médias. « En Tunisie, il n'y pas de liberté de presse mais plutôt une liberté d'expression. En tant qu'éditeur du premier journal indépendant en Tunisie « Réalités », je confirme qu'il y a une volonté du politique d'accaparer les médias même par ceux qui se proclament « démocrates ». Tous les politiques qui se sont succédé depuis la révolution ont essayé de s'emparer des médias tunisiens. Si on veut des médias indépendants, il faut payer cette indépendance. Il est urgent que les autorités mettent en place l'Agence Nationale de publicité publique qui veillera à la répartition équitable des enveloppes publicitaires », lance Taieb Zahar. La responsabilité personnelle dans le journalisme politique est également une des questions phares évoquées par des journalistes et des avocats présents dans la salle. A cet égard, Ppda a expliqué que le journaliste pourrait être confronté à des situations où il devrait faire preuve de retenue, de patience et de pertinence.