La conjoncture est difficile pour les jeunes de la région qui vivent de plus en plus mal la vacuité de leur quotidien. Le gouvernorat de Kairouan enregistre une régression de son processus de développement et les indicateurs qui sont au rouge placent la région à la 22e position à l'échelle nationale. En outre, on y enregistre des taux élevés de suicide, de délinquance, d'abandon scolaire, d'analphabétisme et surtout de chômage qui touchent surtout les jeunes qu'ils soient diplômés ou non. Alors une année qui s'achève, une autre qui commence, cela ne veut rien dire pour ces jeunes qui refusent de fêter le réveillon du 31 décembre et ne s'intéressent pas à la nouvelle année administrative. Ridha, jeune commerçant, nous confie dans ce contexte : «On a beau être tolérant, je trouve hors jeu le comportement de certains citoyens qui imitent les autres, et ce, en fêtant la Saint-Valentin, Noël et le réveillon du 31 décembre. Est-ce que les Occidentaux célèbrent les fêtes musulmanes ?». Son ami Houssem, chauffeur de taxi, n'est pas d'accord avec lui: «A mon avis, beaucoup de Kairouanais tiennent à faire partie des fêtards, le 31 décembre, avec tous les membres de leurs familles car ils estiment que les manifestations d'allégresse et d'échange de vœux pour la nouvelle année renforcent les liens familiaux et sociaux. C'est pourquoi on ne lésine pas sur les moyens avec la préparation de plats spéciaux et l'achat de tenues spéciales de soirées afin d'aborder la nouvelle année en étant joyeux et optimiste…». «Les hommes politiques nous ont tourné le dos» Ramzi F., 31 ans, et Ali J. 30 ans, deux jeunes diplômés au chômage sont pessimistes quant à l'avenir de la jeunesse tunisienne. Nous les avons rencontrés à El Ala, affalés sous un arbre en train de jouer aux cartes. Les deux jeunes hommes désabusés estiment que depuis l'avènement de l'expérience démocratique en Tunisie, l'ambiance générale est devenue morose et déprimante à cause d'une économie en berne, du retour de la mentalité tribale, du développement de la mentalité corporatiste, de la hausse vertigineuse des prix des produits de consommation, du taux élevé de la violence. En outre, les décideurs politiques, qui ont tourné le dos aux jeunes, vaquent à leurs futures échéances électorales et se chamaillent sur les plateaux radio et télé. En fait, nous vivons dans un environnement hostile et une conjoncture difficile en matière d'études et d'emploi, et ce, à cause de beaucoup de passe-droits, d'absence d'efficacité dans le traitement des dossiers des citoyens, d'absence de transparence dans les concours et les recrutements. C'est pourquoi nous ne reconnaissons plus notre pays que nous avons envie de quitter une fois pour toutes, même clandestinement. Bref, notre espoir pour 2019, c'est que la Tunisie redevienne comme auparavant un havre de paix et de sécurité, ce qui nous fera oublier tous les sentiments de peur, de méfiance et d'insécurité». Leur camarade Mourad R, 28 ans, qui n'a pu terminer ses études supérieures à cause de son échec, renchérit : «Ici, dans ce milieu rural, on se sent diminués et marginalisés par rapport aux jeunes citadins qui ont la possibilité de s'épanouir et de s'émanciper. Vivre à El Ala, en étant chômeur et oisif, c'est piétiner dans du néant en attendant la mort pendant 50 ou 60 ans! Quelle absurdité ces années qui se répètent sans aller nulle part. J'espère que l'année 2019 sera porteuse d'espoir avec la possibilité de pouvoir émigrer même clandestinement car nous souffrons cruellement de la pauvreté et de la détresse psychologique. D'ailleurs, deux de mes voisins se sont suicidés l'année dernière puisqu'ils ne sont pas arrivés à surmonter leur pensées compulsionnelles, leur mauvaise situation socio-économique et leur manque de confiance en soi…». En écoutant leurs confidences, le cœur nous manqua. Il était 14 heures. Seuls quelques bergers surveillaient des troupeaux de moutons et des femmes toujours affairées affrontaient le froid et la poussière des chemins… Plus loin, à la cité d'El Mansourah (Kairouan-Sud), des jeunes étaient assis sur les bancs d'un jardin public et profitaient des rayons du soleil pour se réchauffer. L'un d'eux, Samir B, qui vient de fêter ses 22 ans, et qui poursuit ses études supérieures à l'Iset de Kairouan, est très branché côté réseaux sociaux et fan de tout ce qui a trait au monde virtuel : «A Kairouan, on manque d'espaces culturels et d'aires de loisir. La maison des jeunes est presque désertée et le complexe culturel Assad Ibn El Fourat souffre de beaucoup de lacunes et il n'est sollicité que pendant de rares festivals, plutôt modestes. De ce fait, les publinets, les cafés et les salles de jeux sont devenus l'échappatoire pour la classe juvénile. D'où l'état de malaise qui ronge les jeunes qui sont convaincus que les responsables politiques ont d'autres priorités. Je suis écœuré par une telle ambiance dominée par la corruption et les magouilles. Personne n'a confiance en personne…». Mehdi A.,17 ans, élève en 3e année Lettres, renchérit : «Tous les collégiens et les lycéens espèrent le dénouement de la crise provoquée par les syndicalistes qui se prennent pour le nombril du monde et qui ne reconnaissent aucune ligne rouge dans leurs revendications même si elles peuvent nous mener à une année blanche. Du n'importe quoi ! C'est de la folie ! J'espère que le président Essebsi mettra fin à leur manège qui risque de nous coûter cher…».