Jusqu'à présent, on ne parle que de la révolution tunisienne et non de ceux qui en ont été à l'origine. Ce ne sont pas les élites des droits humains, ni les syndicalistes, ni les partis politiques qui ont été derrière ce cataclysme, mais ce sont plutôt ceux qui revendiquaient la justice sociale ( Messaoud Romdhani, président du Ftdes) Huit ans après la révolution, on se montre sceptique, aussi bien du côté des académiciens et chercheurs que du côté de la majorité des Tunisiens à l'égard du bilan mitigé. Il n'y a que ceux qui sont au pouvoir depuis le 14 janvier 2011 qui s'inscrivent dans la positivité. A cet effet, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes) a organisé hier à Tunis, un colloque sous l'intitulé « Révolutions à l'ère néolibérale. Succès, échecs et alternatives », en partenariat avec la fondation Friedrich-Ebert-Stiftung et la participation de quatre intervenants. Dans sa déclaration au journal La Presse, le président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes), Messaoud Romdhani, a souligné que jusqu'à présent, on ne parle que de la révolution tunisienne et non de ceux qui en ont été à l'origine. Et pourtant ce ne sont pas les élites des droits humains, ni les syndicalistes ou les partis politiques qui ont fait la révolution, mais ce sont plutôt ceux qui demandaient la justice sociale qui étaient à l'origine de ce cataclysme, fait-il savoir. Et d'ajouter que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 n'ont rien fait pour satisfaire cette demande incessante. Ils n'ont même pas su que le modèle économique s'est affaibli au temps de Ben Ali et que c'est pour cette raison que les citoyens se sont révoltés. Malheureusement, nos élites se sont concentrées sur d'autres problèmes qui ne concernent pas la population et n'ont pu faire l'écho des slogans scandés au moment de la révolution et des protestations qui continuent huit ans après, regrette le président du Ftdes. « Il est grand temps que ces élites réalisent ce qui se passe actuellement, autrement on est à la croisée des chemins et notre révolution pourrait mener au chaos », ajoute-t-il. Continuer avec ce même modèle va engendrer le même résultat, à savoir l'augmentation du chômage et de la pauvreté et le creusement des disparités régionales, conclut-il. Pourquoi, est-on arrivé là ? Est-ce parce que les élites politiques en n'ont pas bien reçu le message des révoltés, ou parce que cette révolution elle-même ne va pas mener très loin et réaliser les buts escomptés ? Comment pourra-t-on sortir de ce modèle économique qui a montré ses limites ? Les intervenants ont été invités à répondre à ces questions. Il y a liberté et liberté L'écrivain et ancien doyen de la faculté de Manouba, Chokri Mabkhout, a confirmé que les slogans scandés au cours de la révolution, tournant autour du droit au travail, liberté et dignité nationale, résument l'objectif et le programme de la révolution dans une formule générale sujette à plusieurs interprétations. Cependant, la rupture s'est concrétisée en ce qui concerne la structure politique, suscitant un sentiment de déception et confirmant l'existence d'une forme de continuité dans différents domaines, démontre-t-il. Mabkhout affirme que la révolution nécessite une rupture totale avec cette structure politique, ajoutant que le slogan «liberté» scandé durant la révolution englobe aussi la citoyenneté à laquelle on ne pourrait accéder que par le biais des libertés individuelles, ce qui n'a pas été le cas comme en témoignent les réactions de refus à l'égard du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe). Cela démontre bien que les gens abordent différemment la question de la liberté. A son tour, il se demande : « Sommes-nous devant une impasse du processus révolutionnaire ou devant l'absence de vraies forces révolutionnaires ? ». Le défi de la transition démocratique Le professeur américano-iranien Asef Bayat a parlé des révolutions aux temps néolibéraux. La montée des soulèvements dans le monde arabe a donné lieu à un optimisme sans précédent mais cela a été rapidement suivi d'un fort sentiment de pessimisme et de désenchantement. Il explique que les événements (et non les révolutions comme il aime dire) survenus dans notre pays, en Egypte ou au Yémen en 2011 n'étaient pas des révolutions radicales au même sens que les révolutions du 20e siècle, comme celles enregistrées en Iran. Ces événements ont créé peu de changements réels au niveau structurel, notamment sur le plan économique, et demeurent vulnérables aux procédures contre les révolutions, selon ses dires. Il a souligné que le parti islamiste en Tunisie a su bien s'adapter avec ce qu'il a qualifié de réformes révolutionnaires, contrairement aux « Frères musulmans » en Egypte qui ont connu une chute vertigineuse. Les défis clés à présent, pour le cas de la Tunisie, consistent à approfondir la transition démocratique et ouvrir la voie pour une justice sociale tout en assurant la sécurité du pays face aux menaces d'interventions externes, affirme-t-il. Le représentant de la fondation Friedrich-Ebert, Henrik Meyer, a tenu à souligner à cette occasion que la révolution tunisienne était aussi une révolution sociale, que l'ère du capitalisme mondial crée des injustices et provoque même des mouvements sociaux, des soulèvements et finalement des révolutions. Mais ce ne sont pas ces forces sociales qui en profitent, confie-t-il. « Il est devenu évident qu'il ne suffit pas de travailler sur les symptômes qui provoquent des mouvements sociaux ; il faut réfléchir aujourd'hui comment nous pouvons faire disparaître les causes des injustices sociales et politiques ». Le président du Ftdes, Messaoud Romdahni, a souligné à la fin que les nouveaux mouvements sociaux dans la région du Maghreb ont émergé par des initiatives citoyennes, indépendamment des partis politiques et des motifs idéologiques. L'ampleur de ces mouvements a surpris les régimes en place. Que d'interrogations posées et qui demeurent en suspens. « Est-ce que le soulèvement du peuple tunisien était une révolution ou un mouvement social révolutionnaire ? Quels sont les impacts de l'absence d'un projet politique sur le processus de transition en cours ? ». Le débat continue.