La Pharmacie centrale aurait autour de 210 millions de dinars de dettes vis-à-vis de ses fournisseurs étrangers à fin 2018. Si la situation est préoccupante, le bout du tunnel est proche pour la PCT. Au cours de ces dernières années, la crise de la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) a été aggravée par plusieurs facteurs dont notamment son incapacité à payer ses dettes auprès des fournisseurs étrangers en raison de la hausse de la consommation des médicaments et du glissement continu du dinar tunisien face à l'euro et au dollar. Maintenant que la situation est éclaircie, il est temps d'agir pour éviter qu'une telle situation se reproduise. C'est ce qu'a affirmé Aymen Mekki, P.-D.G. de la PCT, rencontré en marge de la Biennale internationale pharmaceutique (BIP 2019) tenue récemment à Hammamet. Un acquis national à préserver Mekki indique qu'on ne peut pas voiler la réalité par le langage de la diplomatie. Tout le monde est au courant de la situation que traverse en ce moment la PCT. «Elle va mal certes mais elle constitue un acquis national à préserver», a-t-il déclaré précisant, par ailleurs, que la Pharmacie centrale, qui assure le monopole de l'importation et de la distribution des médicaments aux niveaux des secteurs hospitalier et officinal, est le fleuron du secteur de la santé en Tunisie. Cette politique a été adoptée depuis l'Indépendance et il est temps, aujourd'hui, de la préserver, la développer et la moderniser par des outils de gouvernance, des systèmes d'information et de traçabilité des médicaments. Ces actions permettraient de gérer, d'une manière équitable et sûre, les circuits de distribution des médicaments pour qu'elles soient orientées directement vers le patient, en passant par tous les maillons que ce soit les grossistes ou les pharmaciens des secteurs privé ou public. A l'instar de plusieurs pays développés, ces outils devraient permettre de rationaliser le financement du système de santé et de la distribution des médicaments, ce qui va réduire le déficit creusé par la compensation des médicaments, qui est supportée à 100% par la Pharmacie centrale et qui s'est élevée, au cours de l'année 2018, à 210 millions de dinars. Il ajoute, dans le même sillage, que cette politique de distribution des médicaments devrait être discutée au niveau sociétal par tous les partenaires afin de rationaliser la subvention pour qu'elle soit orientée vers les couches les plus nécessiteuses. Une telle mesure permettrait à l'industrie locale de se développer et de garantir la sécurité nationale en matière de production des médicaments, mais aussi de capter la valeur ajoutée relative à l'importation des médicaments pour qu'elle soit facteur de développement de l'industrie locale. Système de traçabilité, quelle utilité ? Pour assurer la traçabilité des médicaments, les expériences internationales montrent qu'il faut poser un sticker sur chaque boîte. Ce système existe déjà et il a été appliqué, sauf que la Pharmacie centrale n'a pas le droit d'intervenir sur le packaging des médicaments. Dans ce cas, la PCT doit exploiter l'identification des médicaments assurés par les producteurs pour qu'elle l'intègre dans son système avec le code Data Matrix™ (une symbologie code-barres bidimensionnelle à haute densité, permettant d'afficher une quantité importante d'informations sur une surface réduite). «C'est le code le plus utilisé pour l'identification permanente des pièces… La recherche d'un code simple, compact et sans risque d'erreur a amené la plupart des secteurs industriels dans les quatre coins du monde à faire le choix du code Data Matrix™ (industrie pharmaceutique, aéronautique, automobile, électronique...). Donc, la PCT doit mettre en place ce système pour garantir la traçabilité du circuit des médicaments sur tout le territoire tunisien. «Actuellement, on continue à réfléchir sur cette solution et à discuter avec des experts en la matière pour qu'on puisse développer un système 100% tunisien… On est en phase d'étude et il existe plusieurs expériences sur lesquelles on peut prendre exemple (on a démarré une démarche de benchmarking pour choisir la meilleure solution à adapter)… Cette approche a été adoptée dans plusieurs pays à l'instar de l'Italie, le Portugal, la Turquie…qui ont posé des stickers sur les produits pour identifier le consommateur final et s'assurer qu'il a bien reçu les médicaments, et ce, afin d'éviter les circuits de contrebande transfrontalières et tous usages non réglementaires», poursuit Mekki. Le paiement pose aussi problème Il existe, bel et bien, un problème au niveau de paiement mais ce point devrait être relativisé ; en ce qui concerne les industriels locaux, ils sont tous payés et il n'existe aucun problème à ce niveau-là. Toutefois, pour les fournisseurs étrangers, on enregistre un retard de paiement de près cinq mois. Mais les bonnes nouvelles ne manquent pas. Après une série de négociations, les laboratoires étrangers, partenaires de la Pharmacie centrale, ont accepté de revoir les échéances et les calendriers de paiement de leurs factures. «Pour honorer nos engagements et payer les laboratoires étrangers, nous nous sommes engagés à réduire au maximum ce retard au courant du premier semestre de cette année. Dans l'état actuel des choses, je peux confirmer que la PCT voit le bout du tunnel et est en train de sortir complètement de la crise. Son retard de paiement est passé de 18 mois en juin dernier à quatre mois et demi au mois de février 2019. Il est vrai qu'on avance à pas lents et que ce problème a pris une période plus longue que celle prévue, mais l'important pour nous ce sont les résultats et ces efforts portent, aujourd'hui, leurs fruits», souligne Mekki. Contrebande, quelles solutions ? Dans plusieurs pays développés, à l'instar des Etats-Unis ou de la France, le trafic de médicaments illicites représenterait près de 10% du marché global du médicament. Pour éradiquer ce fléau, une série de mesures urgentes, à effet immédiat, devraient être prises. Il faut mettre en place ledit système de traçabilité, responsabiliser les pharmaciens des deux secteurs (privé et public) ainsi que les circuits de distribution, sensibiliser le citoyen quant à l'importance et à la nécessité d'acheter les médicaments des circuits officiels… «A lui seul, le système de traçabilité permettrait de réduire de 30 ou 40% le trafic illégal des médicaments. Mais de l'autre côté, il y a un grand effort de sensibilisation qui devrait être mené. Pour le citoyen, le médicament devrait être considéré comme un bien public, acheté sur la base d'une subvention assurée par une institution publique. Donc, le citoyen devrait être prêt à prendre sa part de responsabilité pour participer à la protection de ce bien et aider à l'éradication de la contrebande dans ce secteur», affirme Mekki. Qu'en est-il de la privatisation de la PCT ? La privatisation de la Pharmacie centrale est une ligne sombre, par toutes les couleurs. C'est un acquis national qu'on doit protéger. Il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'avec la privatisation de cette institution, on s'attaque à tout le système de santé et, par conséquent, on s'attaque à la vie du citoyen tunisien, notamment les classes les plus nécessiteuses. «Est-ce une vraie crise ou un complot contre la Pharmacie centrale? C'est la question qu'on doit se poser. Il est vrai que la PCT passe par une crise mais qui est loin d'être fatale et est parfaitement surmontable. Il faut dénoncer les "lobbies" qui appellent à la destruction de cette institution et qui veulent la voir disparaître. «A ceux qui se réjouissent des difficultés de la PCT en pensant qu'ils vont pouvoir briser le monopole de distribution des médicaments, je leur demande de réfléchir à deux fois car le rôle de la PCT dans notre système de santé est et restera essentiel. Il faut préserver cet acquis national au lieu de le détruire», dénonce-t-il.