Tout au long de sa carrière, le grand Abdelaziz Meherzi s'est forgé un cachet qui lui est propre. Rien ne l'a fait dévier d'un chemin que lui seul a tracé dans le paysage théâtral sauf parfois l'envie de nouvelles aventures. Le vaudeville pour lui est une manière d'être en communion avec le public, lui offrir un pur moment de plaisir, lui faire vivre des situations cocasses et surtout le tenir en haleine avec les ingrédients qu'il faut entre malentendus, quiproquos, manipulations jusqu'au dénouement. Toujours dans le cadre de la troupe de la Ville de Tunis, la nouvelle création de Meherzi est un vaudeville hilarant, aux personnages colorés et surtout au goût si plaisant d'un temps duquel nous sommes nostalgiques. « Taieb Kakah » est le nom du personnage principal de cette comédie légère, campé par Ikram Azouz, et c'est autour de lui que gravitent tous les autres personnages. Si Taieb est un personnage tout droit sorti de notre mémoire, un personnage aux traits prononcés des années 50, propriétaire d'un salon de coiffure et, bien entendu, comme à cette époque, pratique la circoncision. Si Taieb est aussi vieux, bien que marié à la jeune et belle Hallouma délicieusement jouée par Oumaima Meherzi , mais reste un incorrigible coureur de jupons. Sa jeune épouse, se sentant délaissée, se confie à la soubrette Eljia jouée par Kaouther Bardi. Quand Eljia s'emmêle, les cartes s'embrouillent, Si Taieb se retrouve au cœur d'une grande machination dont seule Eljia tient les ficelles; c'est sa manière à elle de se venger des hommes qui ont profité de la fragilité de la condition des domestiques et ont abusé de leur innocence. Ecrite par Mohsen Ben Nefissa, la pièce, sous les directives de Meherzi, a pris des couleurs éclatantes, la légèreté des dialogues, la finesse des répliques, les sous-entendus et les calembours. Ce vaudeville plein de rebondissements, souvent grivois, ne dérive pas à la règle avec, pour argument le plus caricatural l'adultère et les « portes qui claquent ». Hallouma qui retrouve son amour de jeunesse, Si Taieb qui flirte avec la servante et ses clientes, son apprenti qui s'amourache de la servante…des relations croisées se font et se défont rapidement sur scène, créent une dynamique et un rythme qui ne laissent aucune place à l'ennui. Au-delà de la farce et du divertissement, cette pièce de Abdelaziz Meherzi est une ode à Tunis de son enfance et sa jeunesse, cet amour et cette nostalgie, il les souligne bien fort dans la première scène, une sorte de prologue en vidéo, où la douce voix de Kaouther Bardi accompagne des images du Tunis d'antan, un voyage dans la mémoire à travers couleurs et senteurs, poésie et visages. L'apparition de Meherzi dans la scène d'ouverture vient forcer encore plus le trait de cet aspect, son passage comme colleur d'affiches publicitaires avec son seau et son balai et ses quelques échanges avec Si Taieb ( Ikram Azouz) représente une parenthèse plaisante, où le tac au tac fonctionne si bien et le ton est donné pour le reste. « Taieb Kakah » est un vaudeville, comme on en fait de moins en moins, un style inégalable de Meherzi et une belle brochette d'acteurs dont l'incontournable Kaouther Bardi, la belle fragilité et l'humour de Oumaïma Meherzi, le jeu pompeux et caricatural (dans le bon sens) de Ikram Azouz. Un rendez-vous à ne pas manquer les 15 et 16 février au théâtre de la Ville de Tunis.