Par Jalel Mestiri Perçu au début comme constructif, rassembleur, voire même fédérateur, le mouvement «Ultra» a pris chez nous et au fil du temps un autre tournant. Des débordements de tout genre, des actes de violence ont fini par donner une image négative du supporter et de son rôle dans les tribunes. On serait même passé à de véritables conflits et à une radicalisation des rivalités dans le football tunisien. Même s'ils ne préconisent pas la violence, les groupes des supporters peuvent ponctuellement en faire usage. Moins prévisibles, ils sont également moins contrôlables que les associations traditionnelles. Un «Ultra», c'est majoritairement un jeune homme attaché à une appartenance territoriale forte. Il cherche à faire vibrer le stade et, progressivement, il construit une sorte de compétition parallèle qui le met aux prises à d'autres groupes. Il se mesure sur la suprématie vocale, voire parfois comment s'imposer physiquement. Les études réalisées sur les supporters de football d'aujourd'hui démontrent qu'ils représentent assez bien la composition sociologique des villes de l'équipe qu'ils soutiennent. Il s'agit bien d'une spécificité du football, qui est à la fois le spectacle sportif et culturel. Un spectacle qui draine le plus grand nombre d'individus issus des milieux populaires, lesquels impriment forcément leur marque à l'atmosphère qui règne dans les stades. On assiste en fait à une «juvénilisation» du football qui explique à bien des égards les changements d'ambiance dans le stade et l'essor du « supportérisme » radical. Du fait de la présence de plus en plus massive de ces supporters, la structure et l'image des stades s'est largement modifiée : aménagement des tribunes, médiatisation et commercialisation du spectacle «footballistique». Ils ne se sont pas pour autant limités à une simple présence dans les stades, aux répertoires de chants, aux chorégraphies, ils ont pu développer aussi une gamme de matériel ustensile et tangible: écharpes, T-shirts, vestes, casquettes,etc. Pour finir, dans les grands clubs omnisports, les «Ultras» suivent aussi le hand-ball, le volley-ball et le basket-ball. En plus de la revendication d'indépendance, ils cherchent aussi et surtout une forme de reconnaissance. Pour ceux qui se présentent en tant que tel, être «Ultra » est une part essentielle d'une identité qui tient une grande place dans la vie quotidienne, laquelle tourne autour du groupe dont ils sont membres et de leur attachement (parfois irrationnel) à leur club qui va jusqu'à l'identification. Ils ne se voient pas seulement et simplement comme animateurs de stade, mais ils tiennent aussi à développer une vision critique du football moderne. Avant, le stade était un espace de libération des émotions. Aujourd'hui, il est soumis à un régime de contraintes très spécifiques pour assurer la conformité du public à certaines manières d'être. Le stade n'est plus uniquement un lieu de communion, mais également un espace de différenciations où s'expriment des clivages socioculturels. Ainsi, le football en tant que spectacle fait fonctionner des alliances et des oppositions subtilement combinées qui donnent aux enceintes du ballon rond l'image de l'union et de la division. D'oppositions bon enfant, on serait passé à de véritables conflits qui dégénèrent à la moindre défaillance. Le phénomène s'est rapidement développé en Tunisie pour inspirer les supporters de tous les clubs. Cela ne reflète-t-il pas au fait la conséquence d'un contexte et d'une situation sociale bien particulière?