La gouvernance au sein de l'université dépend, aujourd'hui, d'un processus collectif qui est le reflet social d'un pays. Il est, donc, nécessaire de viser son amélioration au niveau des autorités publiques, de l'enseignement supérieur, de l'établissement scolaire, des centres de formation professionnelle ainsi que le renforcement de l'implication des parents, des acteurs socioéconomiques et des citoyens. Alors que la gouvernance de l'enseignement supérieur a été ignorée et n'a pas fait partie du débat public pendant des décennies, aujourd'hui elle est au cœur de la question universitaire. Il s'agit, en fait, de prendre en considération les besoins, les préoccupations et les inquiétudes autour de la mission de l'enseignement supérieur, de la vision, des orientations, des valeurs, des objectifs des moyens de réalisation, des stratégies de développement des compétences… Mais dans un pays comme la Tunisie, entamer ce processus de réforme n'est pas si facile car la notion de gouvernance de l'enseignement supérieur est assez récente. Le pays est en train de se reconstruire et de changer son système politique, social, financier…et forcément son système éducatif et universitaire doit s'adapter à cette nouvelle ère de changement. De quelle gouvernance parlons-nous ? Slim Khalbous, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, a affirmé, lors de sa participation à la 2e édition du Forum citoyen international de l'éducation placé sous le thème «La gouvernance et qualité des systèmes éducatifs : enjeux, défis et perspectives» qui s'est tenu récemment à Hammamet, qu'au-delà des mots magiques d'une bonne gouvernance, il faut, tout d'abord, savoir selon quel paradigme et pour qui cette bonne gouvernance s'adresse. Dans l'état actuel des choses, notre pays, qui passe par un apprentissage de la démocratie, vit encore dans un environnement judicieux et dans une culture qui n'a pas eu cette démocratie pendant des siècles, ce qui fait de cette notion de réforme une démarche difficile et sensible, puisque la résistance au changement est naturelle et impose un vrai challenge, celui de réussir à convaincre. «Ce n'est plus une réforme qui vient de haut ou imposée par le système comme auparavant. Ce sont une série de mesures et de décisions réfléchies collectivement : chacun par son expertise, son expérience, sa vision. Donc, il n'y a pas de solutions miracles ou immédiates. Il n'y a que des solutions progressives avec une structuration des procédures, une implication des acteurs et un long processus qui doit être respecté et mis en place pour pérenniser la réforme. C'est la grande difficulté et le vrai défi auquel on fait face aujourd'hui», précise le ministre. Khalbous ajoute que depuis plus de deux ans, son département est en train d'accélérer cette réforme et que ce travail commence, aujourd'hui, à donner ses résultats. Mais ce chantier est loin d'être achevé et beaucoup reste à faire car la réforme touche le système universitaire, scolaire et éducatif. «La Tunisie doit s'interroger sur l'efficience de son système universitaire et éducatif. L'attention est donc tournée vers les politiques universitaire et éducative, les actions, la bonne gouvernance, un rapprochement entre les activités universitaires et scolaires, un ajustement de la recherche et des retombées pour la société et pour l'ensemble des institutions publiques, des entreprises…», souligne le ministre. Quelles politiques, avec quels effets ? Khalbous affirme que son département a fait de la dimension pédagogique, de la recherche et de l'innovation, de la vie universitaire autour de l'étudiant et de la gouvernance les quatre axes majeurs de son plan de réforme pour le système universitaire. Ainsi l'objectif d'une bonne gouvernance au sein des universités est de mettre en place un certain nombre de mécanismes leur permettant non seulement d'assumer leurs missions traditionnelles, mais encore et surtout d'assurer l'accessibilité du plus grand nombre au savoir, de contribuer au développement économique, social et culturel du pays… tout en s'inscrivant dans une démarche éthique, basée sur le principe de la responsabilisation. «La transparence, l'autonomie, la redevabilité, la participation, la responsabilité, la culture de qualité et d'évaluation, l'imputabilité… sont les principes de bonne gouvernance. Mais en Tunisie, la gouvernance universitaire actuelle est entravée par plusieurs contraintes, à l'instar d'une crise de confiance et d'implication, d'autonomie, de vocation et de valeurs, managériale et de performance…», a-t-il précisé. Pour réussir ce challenge, les autorités concernées devraient faire face à un défi aux multiples facettes. Il faut assurer la migration graduelle de l'université et des établissements vers l'autonomie, renforcer leur capacité de gestion, renforcer l'engagement du ministère et du monde socioéconomique (contribuable) dans le financement de l'université et des activités de recherche, renforcer le système de communication et d'information à travers l'usage des TIC, adopter une politique d'ouverture réelle sur l'environnement, renforcer les organes et outils d'ouverture sur l'environnement, d'employabilité, de transfert technologique, d'évaluation, d'assurance qualité et d'accréditation, instaurer des mécanismes de pilotage, de régulation et de redevabilité à tous les niveaux… 75% des établissements universitaires ont leur réseau de «4C» Dans ce cadre, Khalbous affirme que son département travaille sur la notion de qualité qui pourrait être reliée à la notion d'accréditation qui pose problème non seulement en Tunisie, mais sur tout le continent africain. «Depuis quelques mois, deux écoles tunisiennes d'ingénieurs ont été accréditées par la Commission des titres d'ingénieur en recevant l'accréditation EUR-ACE (European Accreditation of Engineering Programme) qui garantit la reconnaissance internationale des écoles et la qualité des programmes de formation. D'autres écoles d'ingénieurs sont dans la même démarche et nous les accompagnons jusqu'à l'accréditation de leurs formations. A cette fin, on a mis en place tout un plan stratégique pour que les universités publiques puissent suivre ce processus de bonne gouvernance pour accompagner cette notion de réforme, notamment de qualité et d'accréditation», explique le ministre. Il ajoute que la notion d'institutionnalisation et d'amélioration de l'employabilité des étudiants figurent, également, parmi les priorités du ministère pour pouvoir les accompagner dans leur insertion professionnelle. Il s'agit d'une nouvelle mission qui amène de nouvelles compétences par la création d'un réseau de Centres de carrière et de certification des compétences «4C» à travers des programmes de conseil, d'accompagnement, de formation et d'ouverture sur l'environnement socioéconomique. Le centre «4C» est une structure présente dans les établissements universitaires et constitue le maillon entre l'université et les acteurs socioéconomiques. Aujourd'hui, 75% des établissements universitaires ont leur réseau de «4C». En ce qui concerne le financement de la recherche, Khalbous a indiqué que 95% de la recherche scientifique au sein des universités sont financés par l'Etat. Mais les critères de distribution de ce budget étaient complètement opaques pendant plusieurs années. Il y a deux ans à peine, les critères d'attribution du budget ont été diffusés auprès de tous les laboratoires et structures de recherche sur la base de la production scientifique (combien d'articles publiés, de brevets, de conventions avec les entreprises, de programmes scientifiques ont été organisés…). «Dès qu'elle fait son bilan d'activité, n'importe quelle structure de recherche peut savoir, aujourd'hui, le budget qu'elle va obtenir pour l'année d'après. Il s'agit là d'une forme d'institutionnalisation et de transparence, ce qui va permettre d'améliorer petit à petit les choses», souligne le ministre. Khalbous a cité une autre forme d'institutionnalisation en soulignant que son département a lancé, il y a un mois, un programme de cohésion sociale et universitaire. Baptisé «l'Université, espace de dialogue et de cohésion sociale», ce projet vise la mise en place d'un système de veille, de médiation et de gestion des conflits au sein de l'université. Une vision qui repose sur l'ouverture et le dialogue à travers la mise en place de mécanismes adéquats pour résoudre les conflits dans l'espace universitaire, sur l'apprentissage de la citoyenneté, sur la garantie des opportunités égales et la lutte contre la discrimination ainsi que sur la gouvernance participative qui implique toutes les parties prenantes dans la gestion du système universitaire. «Sans des femmes et des hommes de bonne volonté qui peuvent s'engager dans une dynamique de changement, ces réformes ne seront pas possibles car la gouvernance universitaire dépasse la gestion et l'application des règles. Elle est avant tout un état d'esprit», conclut le ministre. Diagnostic des conflits Le projet «l'Université, espace de dialogue et de cohésion sociale» sera implémenté sur trois ans (2019-2021) et connaîtra trois phases : une phase d'étude approfondie des conflits en milieu universitaire qui permettra de les catégoriser et d'en identifier les principales causes ainsi que les acteurs. La deuxième phase est dédiée à la mise en place des centres et des cellules et à l'identification des acteurs. Pour ce qui est de la troisième phase, elle est celle du renforcement de compétences qui concerne la formation des intervenants en matière de facilitation du dialogue, de médiation et de gestion des conflits.