Les plus chanceux ont dû le voir pendant les JCC à la salle L'alhambra de La Marsa : un film coup de poing qui en a certainement fait larmoyer plus d'un. Mais ce qui est bien, c'est que Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois, est encore sur nos écrans pour ceux qui ont raté son passage furtif aux JCC. La direction de la salle a choisi de le garder encore pour quelques semaines, histoire de faire profiter le public tunisien d'un grand film, qui a reçu le grand prix du festival de Cannes 2010. Xavier Beauvois, à qui l'on doit Le petit lieutenant en 2005, nous entraîne dans une autre histoire, vers un événement qui, au printemps 1996, a fait les gros titres des journaux : l'enlèvement et l'assassinat de sept moines trappistes français, à Tibhirine, en Algérie. Les coupables — groupuscule islamiste, militaires corrompus ?— n'ont pas été identifiés. Ce drame qui, comme beaucoup d'autres, a peu à peu disparu des médias, le cinéma s'en est emparé. Beauvois a choisi de raconter cette histoire, mais pas en tant que film d'action, avec une trame à suspense et intrigue sur fond de film politique. Bien au contraire, Des hommes et des dieux prend un ton plutôt contemplatif, faisant de l'observation un style de narration. Et, dans ce monastère perché dans les montagnes, ces moines chrétiens français vivent en harmonie avec leurs frères musulmans. Jusqu'au jour où la menace vient frapper à leur porte et que la terreur s'installe dans la région. L'armée propose une protection aux moines, mais ceux-ci refusent. Doivent-ils partir ? Malgré les menaces grandissantes qui les entourent, la décision des moines de rester coûte que coûte se confirme jour après jour… Beauvois tente d'échapper à l'approche politique et évite de faire l'analyse de la situation et de se placer en accusateur. A travers l'attitude humaniste des moines il ne pointe du doigt que «le mal», objet qu'il ne s'attarde pas à identifier. Son sujet n'est pas là. Il décrit d'abord la vie d'une toute petite communauté en marge des soubresauts de l'Histoire. Un petit groupe de religieux en terre étrangère, que leur humilité et leur dévouement ont rendu proches d'une population déboussolée par un climat de guerre civile. A mesure que le danger monte. Ils ne bougeront pas de leur monastère : une forme de sacrifice ultime, à la fois kamikazes et héros. Une tragédie riche de son dépouillement, contemplative mais prenante… Face à ce contexte, il y a leurs gestes quotidiens et leurs besognes utilitaires : couper du bois, semer, soigner leur potager...rythmés par des rituels religieux (notamment le chant des cantiques). Une vie tranquille dans la quiétude et la foi, sans désaccord avec la population musulmane qu'on soigne et qu'on rassure dans un temps où la foi prend un autre sens et parle la voix de la violence et de la mort. Deux séquences portent le film à son sommet : un chant choral lancé comme une réponse au bruit oppressant d'un hélicoptère, dont on ne sait trop s'il protège ou condamne les moines. Puis un repas pendant lequel les frères communient autour d'un enregistrement du Lac des cygnes. Les visages sont cadrés au plus près. Remplacer les cantiques par du Tchaïkovski donne la clé d'une grâce profane, où l'art est vécu comme un sacrement. Xavier Beauvois tire le meilleur de tout, de la lumière naturelle, de ces décors, de la musique sacrée et profane comme de ses comédiens formidablement humbles et qui évoluent ensemble comme un chœur. Il le voulait vibrant, et le pari est gagné, et que l'on soit croyant ou non, Des hommes et des dieux impose à tous son silence et son humanisme.