La Rachidia inaugure sa saison (2010-2011) ce soir, à la Bonbonnière, avec un hommage à l'un de ses plus grands maîtres historiques, feu Abdelhamid Ben Algia. Noble pensée et juste reconnaissance : Abdelhamid Ben Algia fut un militant de la musique tunisienne et un père protecteur pour le malouf. Son action au sein de l'auguste institut s'échelonna sur trois longues décennies au cours desquelles, aux côtés du cheïkh Khemaïess Tarnane puis du regretté Tahar Gharsa, il contribua au maintien et à la diffusion de notre riche patrimoine andalou, y apportant, en particulier, son immense savoir des divers répertoires anciens (noubas, achghals et foundous) et sa touche exceptionnelle d'interprète, héritier des écoles pionnières du chant classique. Abdelhamid Ben Algia ne bâtit pas sa carrière sur la composition musicale et son «corollaire» de toujours, la chanson de variétés. On ne lui connaît que très peu de créations personnelles. Ce n'était en vérité qu'apparence. Dans toute la profession, et tout au long d'un parcours au long souffle, ses pairs, ses élèves et ses disciples, tant à l'Ertt où il dirigea la troupe principale, qu'à la Rachidia, reconnaissaient en lui l'enseignant et l'érudit, de même que (chose rarement mise en évidence) le «retoucheur» de génie, grâce aux conseils duquel se parachevèrent les meilleurs succès des années 60-90. On ne sait peut-être pas encore quel fut le poids réel de Abdelhamid Ben Algia dans la musique traditionnelle. Sa formation, d'abord, s'effectua dans les cercles élus du chant des zaouias. Là il découvrit et maîtrisa, tôt, les nuances ardues de nos toubous typiques. Auprès du cheikh Banaouess, ensuite, il accumula des connaissances poussées et approfondies des «salassels» de la Tariquà (savantes comme populaires) ainsi que de l'essentiel du répertoire turco-andalou. Autodidacte assidu, il se forgea, enfin, une culture musicale complète, étudiant le contrepoint, l'harmonie et la polyphonie, et se familiarisant avec les chefs-d'œuvre de la musique classique occidentale. Un maître dans toute son envergure, Si Abdelahmid est, sous des «dehors» sévères, bourrus, un artiste d'une sensibilité et d'un raffinement à nuls autres pareils. Un homme juste, qui plus est, irréductible défenseur des mérites et des talents. Il vécut mal, comme beaucoup d'entre nous, l'avènement de la chanson commerciale et du star-system arabe, mais il n'y céda jamais. Il fut toujours aux côtés des meilleurs, des vrais artistes, et combattit jusqu'à la fin de sa vie ceux qu'ils appelait, (sans en démordre), «les charlatans du métier». Il eût signé sans hésiter Ziad Gharsa, qui a pris sa relève à la direction artistique de la Rachidia, a concocté ce soir, en son souvenir, un programme qu'il eût signé sans hésitation aucune. Une ouverture sur le mode «Dhil», majestieux maquam Tounsi, qu'il affectionait tant, et dont il savait si bien communiquer la teneur et l'ampleur, deux suites (sika tunisienne et H'ssine) et quelques joyaux de la chanson rachidienne de l'âge d'or qui seront interprétés par la chorale et par une jeune soliste chanteuse pour laquelle il prédisait un grand avenir, Rihab Esseghaïer. Belle palette et un concert inaugural qui promet plaisir et émotion : que demander de plus à la musique?