Ça jase déjà autour des «JMC». Les «recalés» du concours haussent le ton, le jury de présélection est montré du doigt. En somme, le «manège» de toujours. Les organisateurs ont eu beau expliquer que des journées musicales ont remplacé l'ancien festival de la chanson, que le contenu et la philosophie ne sont plus les mêmes, que la création a, désormais, priorité sur la compétition, rien n'y fait : les mécontents et les suspicieux sont encore là, la controverse s'anime et s'enflamme, sur les gazettes, à la radio, à la télévision. C'est comme cinq à dix années en arrière : le tollé ? Pourquoi ? On peut supposer que c'est un problème de communication. Les professionnels ont-il bien reçu le message? Les responsables ont-il bien clarifié leur discours ? Difficile à admettre. Que l'on sache, depuis des mois, la campagne de sensibilisation n'a pas eu de répit. Ce serait, alors, les vieux réflexes qui tardent à décrocher. Plausible. Ce milieu de la chanson est un petit «village» clos, refermé sur lui-même, où les rivalités sont légion, et où les conflits et les jalousies sont pratiques quotidiennes. Impossible, pour ainsi dire, d'y obtenir l'accord parfait. A fortiori quand se miroitent des succès et des prix. Sans le support des idées Le plus probable, à notre sens, est que c'est une question de culture, plus précisément, de mentalité. Aux époques de l'essor musical, art et culture étaient indisssociables. Quand on était chanteur, compositeur, parolier ou même simple soliste instrumentiste, on ne se prévalait pas que de cela. On avait, en plus, des bases littéraires, on avait regard sur la poésie, on travaillait, surtout, en étroite intelligence avec les faits et les idées qui remuaient le monde. Simplement dit, à la vocation musicienne s'ajoutait, naturellement, la vocation intellectuelle. Il en résultait que les artistes, au-delà de ce qu'ils incarnaient par eux-mêmes, en tant que praticiens, créateurs, personnages de scène, étaient des consciences pleines et accomplies. C'est-à-dire, aptes, si besoin et nécessité s'en faisaient sentir, à distinguer l'intérêt général de la musique de leurs intérêts particuliers. Les grandes avancées historiques de la chanson arabe et tunisienne n'ont été réalisées qu'au prix de cette conscience intellectuelle solidaire. On ne va pas s'étendre, à nouveau, sur ce qui a conduit à la disparition de nos «âges d'or». Ce sont des causes complexes et qui datent de longtemps déjà. Mais ceci, en succint : la pensée à quitté notre musique. Deux domaines à part, n'ayant plus de lien l'un avec l'autre. Sans le support de la pensée, sans l'apport des idées, la musique est tombée, logiquement, dans un déficit de conscience. De moins en moins soucieuse de son rôle dans la culture, de plus en plus éloignée de ses valeurs et de ses reférents absolus. Ne cherchons pas loin. L'agitation polémique qui marquait, sans discontinuer, les éditions de l'ancien festival de la chanson (et qui a, en grande partie, provoqué son interruption), le tollé qui pointe, en ce moment, autour des «JMC», en découlent droit. Les conflits d'egos, les suspicions et les contestations répétées traduisent la montée de l'individualisme dans la profession musicale. Et l'individualisme n'est que l'expression implicite, à la fois, d'un recul du sentiment collectif, et de la déconsidération des principes qui fondent la musique. Attendons de voir, au moins ! Conscience du rôle social et culturel de la musique, réhabilitation de ses normes et de ses critères de qualité et de compétence : les Journées musicales de Carthage» ne sont, vraisemblablement, créées que dans cet esprit. Et certainement pas pour opposer des artistes dans de quelconques courses au podium. Nos musiciens peuvent, certes, se montrer sceptiques. Le passé pèse encore, et les préjugés ont la peau dure. L'effort d'y croire n'est pas interdit pour autant. On n'en est qu'à la toute première édition, aux tout premiers essais, attendons de voir, au moins, ayons confiance dans «le nouveau né». C'est cela privilégier l'intérêt de l'Art sur les intérêts particuliers. C'est cela surmonter ses egos pour défendre des valeurs et des référents artistiques absolus. C'est cela mépriser la matière pour la pensée. Quant aux concours, aux ambitions de la compétition, quant aux verdicts et aux jurys, le plus raisonnable est que tous (lauréats ou recalés) se persuadent qu'ils feront jaser en tout état de cause. On est dans la création, pas dans la science exacte, que d'incertitudes, dès lors, que de subjectivités! Kant avait, sans doute, vu juste à ce propos. Il parlait d'acteurs et de spectateurs. Les premiers s'impliquent, écrivait-il, alors que les seconds observent à distance. Dans le recul on discerne mieux les choses, à même l'action on est beaucoup plus enclin au parti pris.