Retour sur les premières «Journées musicales de Carthage» (l'événement est chaud encore) pour observer ceci : qu'au regard de la majorité de nos confrères «l'esprit festival» prévaut sur «l'esprit JMC». Presque partout on a jugé, jaugé, on a fait la part du bon et du moins bon, on a même attribué des notes l'autre soir, qui au-dessus de la moyenne, qui en dessous. La critique est libre. Etait-ce, toutefois, la bonne attitude à prendre? Les «JMC» sont nées, précisément, pour rompre avec les vieilles habitudes, celles des compétitions controversées et des «sentences» médiatiques. Elles sont venues proposer un autre panorama, une autre vision de la musique. En plus éclaté, en plus ouvert, en plus apaisé. Elles ont voulu, surtout, dédramatiser la chanson, expression dominante, certes, de longue tradition populaire, mais dont l'exclusive absolue, pour le moment du moins, restreint la perception des publics et la marge des créateurs. Ce ne furent que des débuts. Les débuts sont toujours fragiles, hésitants. Il y a plus de quarante ans, la première session des JCC l'était davantage. On avait corrigé les failles et l'on avait préservé l'idée. C'est peut-être ce qu'il faut faire avec les «journées» de la musique : oublier «les salles vides», les concerts manqués, les défauts de programmation, d'organisation et s'en tenir à une seule et unique interrogation : est-on sur la bonne voie, dans le juste projet ? La chanson c'est toute la musique A être francs avec nous-mêmes, il n'y avait pas d'autre alternative. La chanson tunisienne a accumulé trop de passifs. Elle est, clairement, en mal de qualité et d'identité. Son audience recule et sa pratique se dégrade à vue. Etait-ce encore opportun de l'exposer telle qu'elle est, de continuer à lui octroyer une «vitrine de festival»? Une reprise en amont lui était nécessaire, pour ne pas dire vitale. L'idée des «JMC», contrairement à ce que pensent beaucoup de professionnels, peut lui concéder un temps de transition, le répit dont elle a besoin pour espérer rattraper son crédit musical et sa notoriété artistique. Car il n'est pas vrai qu'en s'ouvrant à d'autres disciplines et à d'autres musiques, les «journées» limitent les perspectives de la chanson. En y réfléchissant bien, c'est à un vrai ressourcement, à un fécond retour aux bases, que celle-ci s'invite désormais. Les valeurs solistes, la composition instrumentale, les techniques orchestrales, mieux, la rencontre et l'échange avec les musiques maghrébines, africaines, arabes, internationales sont un supplément de richesse pour elle. Sa pénurie créative actuelle est peut-être due au fait qu'elle est restée confinée dans les mêmes moules, les mêmes gammes, les mêmes expressions poétiques, et qu'elle demeure à l'écart des nouvelles sonorités du monde. La chanson est notre musique de prédilection, de vieille tradition, mais la chanson ne s'exprime et ne s'épanouit que par la conjugaison de tous les arts et les savoirs de la musique. C'est à cela, sans doute, que vise l'esprit des «JMC». Taswira : la barre placée haut Un mot quand même à propos du concours de la chanson. Non pas tellement pour juger ou jauger, mais pour saluer une belle «coïncidence»: Taswira, la lauréate du Tanit d'or. En texte, musique et interprétation, cette chanson aura survolé le lot. Jury unanime, critique et public aussi. On n'espérait pas tant «d'entrée de jeu». Mais pour les «JMC» c'est une bonne unité de mesure pour les compétitions à venir. Taswira n'est pas un chef-d'œuvre du genre, pas plus, probablement, qu'un gros succès d'audience, mais c'est un travail qui place la barre assez haut, de quoi montrer à tout le monde, même à des candidats d'expérience et de renom, ce que les «journées» attendent des créateurs, compositeurs, chanteurs et paroliers. En quelques mots : des œuvres dignes de ce nom, bien conçues, bien développées, soucieuses de leur propos (ce qui manquait tragiquement lors de ce concours), sincères, par-dessus tout. On a pu dire de Taswira qu'elle a un défaut de rythme, qu'elle n'est pas dans le tempo du moment et du goût du jour. C'est une chanson sincère et authentique. Ce seul attrait lui suffit. Succès et santé en 2011.