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«Aimer trop le patrimoine peut tuer le patrimoine !»
L'entretien du lundi : Inchirah Hababou, architecte
Publié dans La Presse de Tunisie le 20 - 12 - 2010

L'Association de sauvegarde de la médina vient de recevoir avec la municipalité de Tunis le Prix Aga Khan d'architecture pour le projet de revitalisation de l'hyper-centre (voir notre article du 2 décembre 2010). L'architecture est donc à l'honneur ces jours-ci, d'autant plus que ce prix décerné par un jury international a donné lieu à des reportages, diffusés sur plusieurs chaînes européennes et arabes, sur la ville de Tunis et ses bâtiments célébrant les plus beaux styles du début du XXe siècle.
Le parcours de l'architecte et urbaniste Inchirah Hababou, qui enseigne actuellement à l'Ecole nationale d'Architecture, est intéressant dans le sens où elle s'est spécialisée très tôt dans la réhabilitation du patrimoine quotidien tout en gardant un œil sur les pratiques contemporaines de l'architecture.
Son expérience professionnelle s'étend à l'aménagement urbain de plusieurs villes notamment en Afrique. Ici, elle vient de concevoir des études de circuit de visite de Béja et de Mahdia. C'est avec cette architecte passionnée et dont le regard critique sur la ville semble très juste que nous avons choisi de parler de l'art de bâtir et de concevoir les espaces de vie en Tunisie particulièrement.
Vous qui avez travaillé à l'ASM de Tunis, à l'Agence de rénovation et de réhabilitation urbaine (ARRU), que pensez-vous de toutes les actions de sauvegarde des anciennes architectures entreprises en Tunisie ?
Pour avoir vécu les évolutions dans ce domaine, je peux dire que nous avons plutôt bien travaillé. La Tunisie fait partie des premiers signataires des chartes archéologues. Depuis le projet Hafsia où on a testé nos outils d'intervention sur le tissu ancien, la conscience patrimoniale s'est beaucoup développée. Il me semble que nous vivons actuellement une période charnière. Le risque consiste à basculer dans un fétichisme primaire. Aimer trop le patrimoine peut tuer le patrimoine !
Sur quoi intervenir ? Et de quelle manière travailler sur les tissus anciens ? Voilà des interrogations fondamentales. Il faudrait, à mon avis, continuer à protéger mais en laissant l'empreinte du temps présent.
Nous disposons aujourd'hui de compétences et de connaissances, y compris par rapport au patrimoine immatériel. Les études sur les spécificités architecturales régionales réalisées par le ministère de l'Equipement ratissent large en matière de patrimoine.
Nous disposons d'un Code du Patrimoine, qui a essayé de trouver des solutions aux blocages que nous avons rencontrés en abordant le projet Hafsia, à savoir l'absentéisme des propriétaires étrangers, les locations anciennes, les problèmes liés à l'héritage. Mais on ne sait pas pourquoi il n'est pas toujours appliqué. Nous n'avons par exemple aucun Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV).
Le PSMV représente l'outil réglementaire opposable aux tiers, qui travaille sur le détail de médinas vivantes se transformant au fil des jours. Il est le garant de leur homogénéité et de leur cohérence. Une cohérence parfois en voie de disparition. Un PSMV demande des finances consistantes. Il semble peut-être rigide. Il y a quelques réajustements à faire pour qu'il devienne opérationnel. La situation peut paraître paradoxale si on conjuguait l'absence de cet outil avec un intérêt exacerbé pour le patrimoine.
Que faut-il faire à votre avis à ce niveau ?
Pour revenir aux médinas, la sauvegarde y est constante. Seulement, elle semble quelque peu dispersée. Il faut trouver les moyens pour que ces interventions soient canalisées, contrôlées et prises en charge par une structure qui nous manque aujourd'hui. Celle d'un corps spécialisé d'architectes qui dispose du droit de regard sur les évolutions des tissus anciens. Prenons le cas de la médina de Mahdia, petite ville fermée, très intéressante sur le plan historique.
Depuis une dizaine d'années, un phénomène ne cesse de s'amplifier : dès le mois d'avril, pratiquement chaque commerçant ayant pignon sur rue à l'intérieur de l'enceinte de la médina va vouloir «rénover» sa boutique. Il va ramener des matériaux étrangers à l'esprit de la vieille ville, introduire des structures en aluminium aux couleurs criardes, élargir les ouvertures… En imitant la Skifa El Kahla (entrée en chicane à l'entrée de la médina de Mahdia), ou un bordj (fort), les commerçants ne se rendent pas compte qu'ils déstructurent d'une part la médina et d'autre part font tort à la monumentalité et à l'unicité des monuments auxquels ils se réfèrent dans leurs transformations. C'est là où le corps spécialisé pourrait réagir en aidant les uns et les autres à mettre les signes de la contemporanéité sur les bâtiments anciens tout en préservant leur lecture historique.
Ne pas détourner ni injurier le passé et marquer en même temps les monuments de l'empreinte du présent est un équilibre que seuls des architectes spécialisés dans le patrimoine pourraient trouver. Ce corps ne peut pas fonctionner en l'absence d'ingénieurs, d'entreprises et de bureaux d'études spécialisés dans les bâtiments anciens. Savez-vous qu'aucune entreprise ne sait aujourd'hui en Tunisie construire un mur en pierre ou consolider un plancher en IPN ou en bois ?
Pourquoi la production architecturale nouvelle n'est-elle pas à la mesure de l'esthétique et de la sobriété des architectures traditionnelles?
Qu'on aille du nord au sud du pays, l'appauvrissement du paysage urbain est flagrant. Partout, dans toutes les villes et dans les divers tissus, qu'ils soient populaires, moyens ou supérieurs, nous relevons des maisons construites selon le même schéma : une façade en crépi ocre relevée d'une corniche en tuiles rouges, des fenêtres carrées, une large entrée avec deux colonnes en nakcha hdida (stuc) de Dar Chaâbane, s'y rajoutent parfois des escaliers extérieurs.
Est-ce cela le «style tunisien»? On devrait réfléchir sérieusement à cette problématique. Les études sur les spécificités architecturales ont retracé les différents patrimoines de la Tunisie : médinal, vernaculaire et européen. Comment les réexploiter pour créer une architecture de notre temps présent ? S'agit-il de les recopier ou d'en utiliser quelques éléments pour les développer, les suggérer dans une architecture contemporaine?
Mais qu'est-ce qu'une architecture contemporaine ? Quels seraient son vocabulaire et ses outils ?
C'est une architecture épurée, intégrée, non ostentatoire. Dans une logique de développement durable, on se doit de faire attention aux économies d'argent et d'énergie. C'est une architecture facile à entretenir, qui se soucie de l'avenir et veut préserver un environnement sain pour nos enfants. La monumentalité incarne un discours ancien, classique. Dans la contemporanéité, le dialogue avec la rue et avec l'espace urbain revêt une grande importance.
Justement, les architectes portent-ils une responsabilité par rapport à la ville et à la qualité de la vie qu'elle peut offrir aux citoyens ?
Oui, les architectes ont cette responsabilité mais tout autant que les urbanistes et d'autres corps de métier encore. Quand elle a été conçue, la ville de Brasilia au Brésil a tout de suite été marquée par la double signature de l'architecte Meyer et de l'urbaniste Costa. Mais si l'architecte crée son objet en négligeant l'espace urbain, sa responsabilité par rapport à l'harmonie de la ville devient très forte. Comment définir une rue sinon par le dialogue que cet espace urbain tisse avec les différentes façades ? La façade n'appartient pas au propriétaire autant qu'elle est le bien de tous.
A regarder de près l'architecture européenne, on remarque qu'elle présente un discours de rue. Elle est composée de façades, d'alignement d'arbres qui renforcent l'alignement de la rue, de la chaussée et des trottoirs. Dans nos villes nouvelles, les façades ne se rattachent nullement les unes aux autres, les alignements d'arbres dans les cités résidentielles ont disparu, chacun plante l'arbre qu'il veut, à l'endroit qu'il veut, grignotant sur la largeur du trottoir, le privatisant même en le considérant comme une aire de stationnement personnel.
Du coup, on oublie le piéton et son droit de marcher dans la ville…
Effectivement. La place des trottoirs dans une ville est primordiale. Si on les libérait et plantait correctement, les piétons n'investiraient plus la chaussée, provoquant une malheureuse cohue urbaine. Les villes gagneraient en qualité si leurs rues étaient réfléchies et prises en charge de telle sorte que les citoyens s'y épanouissent. Qu'ils puissent y faire de la marche, du jogging, du vélo… Au lieu de s'engouffrer dans des cafés enfumés, on circulerait dans des espaces plus sains. On y consommerait également moins d'essence puisque les gens ne seraient pas obligés d'utiliser leurs véhicules afin de faire la moindre petite course.
Vous qui enseignez à l'Ecole d'architecture, si on vous demandait de donner trois conseils à un jeune architecte, que lui diriez-vous?
Je lui dirais qu'un architecte n'a jamais suffisamment appris. Ce domaine est tellement vaste et en évolution constante… Je l'inviterais aussi, à chaque fois qu'il se trouve face à un nouveau projet à concevoir, à savoir s'intégrer dans le contexte où il se situe. A s'ouvrir sur le vingt et unième siècle tout en cherchant le bon équilibre entre l'authenticité et la contemporanéité.
A prendre également des leçons de l'architecture vernaculaire, qui a su trouver des solutions simples et pleines de bon sens par rapport à l'économie d'énergie: les orientations, la circulation de l'air, la protection contre le soleil, la récupération des eaux pluviales, la création d'un microclimat…Il ne faut pas lire les architectures anciennes au premier degré. Elles sont loin de représenter une simple image!


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