Par Khalifa CHATER Les élections du 28 novembre devaient confirmer l'accord de Ouagadougou, (4 mars 2007), mettant fin provisoirement à la guerre civile qui a marqué l'ère post-Houphouët-Boigny. Le Chef de l'Etat, Laurent Gbagbo, signe l'accord avec son rival Guillaume Soro, le secrétaire général des Forces nouvelles, le leader du Nord, et lui accorde la charge de Premier ministre (26 mars 2007). Les autres adversaires, Henri Konan Bédié (Parti Démocratique de la Côte d'Ivoire) et Alassane Ouattara (Rassemblement des Républicains), durent avaliser l'accord, qui les a mis hors jeu. Depuis lors, le Nord vivait officiellement sans Etat et isolé de l'extérieur. Par contre, un Etat fonctionne au sud qui englobe, depuis les accords de Marcoussis, les rebelles du Nord. Or, les dernières élections réactualisaient la division territoriale par la compétition électorale entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Mais la voix des urnes devait assurer l'arbitrage démocratique. La campagne électorale et le débat qu'elle a mis en œuvre semblaient annoncer une “sortie du tunnel”, une promotion de la Côte d'Ivoire, digne du paradigme établi, par le père fondateur. Mais la non-reconnaissance des résultats par Laurent Gbagbo, la mise en échec de fait du processus électoral, la coexistence d'un président élu et d'un président autoproclamé et la formation de deux gouvernements rivaux créaient une situation d'exception, avec les risques d'embrasement ethnique et religieux. Cette situation instituait la guerre civile, c'est-à-dire “une contestation hostile au moyen de forces armées” et une lutte pour la prise du pouvoir. Ironie du sort, le processus électoral ivoirien semblait remettre à l'ordre du jour les guerres rituelles entre les tribus d'antan. L'analyse géopolitique rappelle les données de la situation postcoloniale : la structuration des espaces africains, depuis le début de la colonisation par des modèles venus d'Occident, la reconstruction de l'Etat-nation, les effets de l'insertion du pays dans le contexte mondial, les acteurs et les enjeux du pouvoir. Mais la Côte d'Ivoire a une situation exceptionnelle identifiée récemment par Christian Bouquet, qui fait valoir que “"l'ivoirité", principe identitaire à géométrie variable, est manipulée par des hommes politiques opportunistes aux abois” (Géopolitique de la Côte d'Ivoire, Espace populations sociétés, 2005). Christian Bouquet analyse les imbrications de groupes humains, du fait des situations foncières superposant les droits acquis des migrants et les revendications des autochtones et de jeux politiques traçant des limites variables entre le Nord et le Sud du pays. Il remet en question la démarcation qui place l'Islam au nord, le christianisme et l'animisme au sud, puisque les religions se disposent dans l'espace de manière différente du fait des migrations, et que les populations étrangères, essentiellement venues des pays situés au nord, sont surtout concentrées au sud. Est-ce à dire que la présente situation ivoirienne s'est “traduite par un glissement du multipartisme au multiethnisme” ? De ce fait, elle peut constituer un précédent fâcheux, en tant que processus de démocratisation formelle résultant d'une prise de conscience différentielle de l'esprit républicain. A ce titre, la situation ne pouvait qu'être inquiétante, dans la mesure où elle menace la stabilité du pays et crée un environnement d'insécurité. Pour mettre fin à cet état de fait, la communauté internationale (Union africaine, Union européenne, ONU) a demandé au président autoproclamé de prendre acte des résultats des élections. Jean Ping, le président de la Commission de l'Union africaine, et un haut représentant de la Cédéao, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, ont remis une lettre à Laurent Gbagbo lui demandant de transférer immédiatement le pouvoir à Alassane Ouattara. Il fallait nécessairement traiter cette situation, pour “éviter le retour imminent d'un conflit sanglant et inutile” (déclaration du ministre nigérian des Affaires étrangères). D'autre part, l'Union européenne et le Conseil de sécurité annoncèrent des sanctions. Comment dénouer la crise et prévoir l'avenir ? Laurent Gbagbo est désormais isolé sur la scène internationale. Comment va-t-il réagir ? Est-ce que “la logique de l'ultimatum” ne risque pas de mettre le feu aux poudres ? Nous partageons les craintes de l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin, qui recommandait récemment de “trouver une solution où le président élu Alassane Ouattara puisse prendre le pouvoir, tout en laissant une place à l'opposition”. Espérons que cela sera possible, que le Président autoproclamé acceptera d'assumer ces évidences et que le président élu prendra acte de la nécessaire coexistence de différentes forces politiques et courants d'opinion, dans une vision partagée de la bonne gouvernance. Autrement, ces deux rivaux risqueraient d'ouvrir la boîte de Pandore, avec la montée de périls et l'immixtion étrangère, vu les enjeux économiques internationaux.