Le célèbre professeur Legueult, qui avait appris le b.a-ba de la peinture, à Paris, à toute une génération d'artistes maghrébins, avait pour sacro-sainte habitude de libérer ses élèves de toute contrainte extérieure ou influence de quelque artiste que ce soit, fussent-ils les plus grands. Feu Mostari Chakroun et surtout Mahmoud Sehili ont retenu cette leçon primordiale. On sait comment ce dernier s'est inspiré du patrimoine architectural ancien et des scènes de la vie traditionnelle, non seulement de Tunisie mais aussi du Maroc et de l'Algérie, sans oublier ceux de l'Egypte et du Soudan. Toutes ces visions patrimoniales sont reportées sur ses toiles, souvent de grands formats, ont été les thèmes majeurs de sa démarche picturale, exécutées avec une rare et profonde sensibilité. Ses «médinas enchantées» notamment auront été le fruit d'une grande liberté dans sa démarche naviguant entre un art formel et informel d'une rare beauté. Comme Legeult, et depuis son atelier de Sidi Bou Saïd (qu'il a quitté, ces dernières années), il a agi de la même sorte avec ses nombreuses élèves depuis Beya, la doyenne, jusqu'à Imen Ben Belgacem, la plus jeune, et que nous voudrions présenter aujourd'hui, au grand public, à l'occasion de son exposition à la galerie Le Cap. «J'ai vaincu la toile!» Même si, paradoxalement, il reste dans les toiles de cette talentueuse artiste, une influence certaine du maître (architecture médinesque, scènes de la vie traditionnelle, similitude de la palette dans les tons ocres, jaunes et terre d'ombre…), il n'en demeure pas moins que son geste est spontané et que de cette spontanéité surgissent des images qui s'en éloignent progressivement. Mahmoud Sehili, lui-même, s'en étonne avec un certain ravissement : «Imen, quand elle peint, elle ne retouche jamais le trait. Le geste pictural est immédiat. Elle peint, organise la surface, fait de l'animation de surface. Un geste anodin devient un tableau. Un don de Dieu». Patiente, impatiente, Imen lui répond : «C'est moi qui avais raison, tu vois, j'ai vaincu la toile!» Aqouas, intérieurs, nus sensuels Il reste, comme nous le disions, un héritage séhilien chez cette artiste qui n'a pas encore atteint la trentaine et qui avait débuté à 16 ans, comme la plus jeune peintre autodidacte de l'atelier de Sidi Bou Saïd. Elle y aura passé sept ans et elle en est sortie plus complète et plus confiante que jamais. A son actif, quatre expositions depuis 2004 aux thèmes récurrents : «Fenêtres», «Scénographies», «Fête de la femme», «Le Jardin de sable», plus cette nouvelle exposition où des aqouas et des intérieurs, la nouveauté vient surtout des nus d'une sensualité poussée, parfois, à l'exacerbation. Même la palette a changé aussi, du tout au tout, à travers cette dernière thématique. Plus d'empâtement, mais une peinture aquarellisée, des huiles d'une transparence exquise, des images de corps-silhouettes où le dessin, avec ses lignes-force au départ s'efface au détriment de la couleur. On est encore un peu dans l'univers séhilien, ses atmosphères, ses enchantements, mais on sent que Imen Ben Belgacem s'en éloigne progressivement, furtivement…