On entre dans l'univers pictural de Beya, à pas feutrés. C'est un univers de souvenirs visuels, exquis, et d'atmosphères vécues et ressuscitées. Mais rien de véritablement précis dans tout cela, sinon que de faire surgir de la matière, l'éclat de ce passé, la joie d'exprimer ces lieux aujourd'hui absents, d'en célébrer le jaillissement. N'est-ce pas là le rôle de l'œuvre d'art? Les lieux, justement, les décors de son enfance, sont plantés quelque part, à Qalaât El Andalous et, partout où l'architecture médinesque peut surprendre le regard de l'observateur, l'éblouir par la majesté de ses extérieurs, les seuils et les portes chamarrés, les revêtements des murs en carreaux de faïence émaillée, de tradition andalouse ou d'ailleurs. Et puis, et puis la lumière, le rôle primordial de la lumière! La lumière — dans ces extérieurs de maison, leurs seuils profonds — qui apparaît à peine diffuse d'un recoin et qui se met à «brouter», progressivement, l'ombre de la nuit. Et l'ombre se mettant à glisser lentement des murs, allant s'aplatir sur les plinthes. Cet éclat, même d'une lumière diaphane, c'est aussi cela la présence de ce passé cher à l'artiste, la manifestation lumineuse qui vient à bousculer l'ombre, c'est-à-dire l'absence de tant d'êtres chers. Dans cette série de peintures (huiles sur toile de moyen format), les lignes, les formes, les couleurs sont conçues sans anecdotisme, sans relief exagéré. C'est qu'il s'agit bien, pour Beya, d'un traitement particulier de la toile ou, pour reprendre Paul Cézanne, «la matière n'est pas qu'en surface, elle est toute en profondeur». Il faut rappeler alors le legs de Mahmoud Sehili, son maître, et, dont, d'ailleurs, elle est la seule et digne héritière de sa palette, la plus ancienne et l'exception même. Ce legs ne s'est manifesté à son tour, dans la palette de Beya, qu'après de laborieuses années d'exercices de style dans l'atelier du peintre à Sidi Bou Saïd! Des exercices auprès du maître pour affirmer son dessin et voyager dans l'alchimie des couleurs à satiété. S'instruire, s'apprivoiser aux tonalités séhiliennes, ses chromatismes que se partagent les ocres, les terre-d'ombre, les rouge-carmin, les verts clairs et bouteille et cette harmonie du clair-obscru, si remarquable à travers ses «Médinas enchantées». Rendre somptueux le visible Ainsi, durant des années, et bien souvent à l'ombre du maître, Beya n'a cessé d'aller de l'avant, en se demandant comment on pouvait retrouver les possibilités expressives, à partir des seuls moyens plastiques. Oui, bienvenue chez Beya, à travers ses nouvelles créations inspirées des «atmosphères» séhiliennes, mais non pas mimétiques. Le choix des autres œuvres, hormis celles dont nous venons de parler, prouve à quel point elle a trouvé sa voie : le travail sur le thème des carreaux de céramique érigés en triptyque et autres des prétextes à la couleur et à la lumière et comme un clin d'œil à ses «Andalousies», si chères andalousies, desquelles elle revendique ses origines; et puis, cette autre série offerte à la fiesta, à la danse pleine de chaleur humaine, des ballets où les êtres, silhouettes nourries au feu de l'amour, multiplées à l'envi, se confondent, comme les plis du soufflet d'un accordéon ivre et joyeux. Les œuvres de Beya doivent être observées à distance car elles sont un lieu de passage du dehors vers le dedans et vice versa, un lieu de partage, aussi, quand la «présence» apparaît, enfin, de plus en plus évidente sur la toile. Et nous allions dire comme sortie du tableau lui-même. C'est aussi cela, la magie de l'art. Des œuvres qui ont quelque chose de somptueux et de mystérieux enfin, à travers ce va-et-vient incessant du «visible» et de l' «invisible».