• L'humoriste Ben Yaghlane a été bien en deçà de ce dont il nous a fréquemment habitués, avec sa pièce Harqa Le public du Théâtre municipal avait rendez-vous mardi dernier avec le one man show de Raouf Ben Yaghlane, présenté pour la première fois l'été dernier à Hammamet, soit le 17 juillet 2010, marquant ainsi un nouveau cycle de représentations à Tunis et aux quatre coins de la République. Sujet d'une actualité plus que brûlante qui préoccupe au plus haut degré la société civile à tous les échelons partout dans le monde, l'immigration clandestine est un phénomène relativement récent qui, du point de vue de la Tunisie,a endeuillé beaucoup de familles, surtout depuis que les frontières des pays de la rive nord de la Méditerranée se sont hermétiquement fermées au nez de nos jeunes, assez crédules pour croire encore à un Eldorado européen. Loin de correspondre à une réalité plus que mensongère parce que reposant sur un mythe éculé qui a fait son temps, l'immigration clandestine, ou la «harqa», demeure l'ultime issue pour atteindre ce paradis qui fait rêver et entretenir l'illusion qu'il suffirait simplement de se baisser pour ramasser à la pelle des liasses de billets. Curieuse que cette image d'Epinal qui fait prendre des vessies pour des lanternes. C'est donc autour de ce thème que Raouf Ben Yaghlane a fignolé son spectacle. Au préalable, il a pris soin de visualiser des documents et des vidéos dont un court métrage sur Hammam-Lif, qualifiée de plaque tournante et carrefour de la harqa. Il s'est même rendu en Sicile et a rencontré des Tunisiens qui vivent dans la clandestinité, et dans une précarité extrêmement pénible, parce qu'ils ont choisi ce moyen pour vivre un rêve qui a tôt fait de se transformer en cauchemar. Il a dénoncé les réseaux mafieux qui exploitent la détresse humaine et font miroiter aux candidats à la harqa les mirobolants avantages qu'ils pourraient en tirer, savent-ils seulement que même l'immigration légale a cessé d'être un créneau porteur depuis que les Roumains par exemple ou les Bulgares arrivés en masse constituent en Europe de l'Ouest un danger et une concurrence à la présence des nôtres? Et s'il nous a fait rire aux larmes avec «Je m'exprime ou je me tais» quand il a voulu dénoncer le tort fait aux femmes (on se rappellera toujours et pour longtemps ses délicieux aphorismes aux fraises, aux amandes et au miel, employés dans le dessein de harceler les filles), Raouf Ben Yaghlane a, en quelque sorte, raté l'occasion de faire mieux avec cette Harqa. Au départ, il croyait traiter la question avec un humour peut-être décapant et une cruauté si tonique. Il tenait à aller au fond du problème, jusqu'à crever l'abcès et montrer la face cachée, le revers de la médaille de ce phénomène qui frappe une certaine catégorie de jeunes, fragiles psychologiquement, et annihile jusqu'à leur volonté pour tenter de sortir de cette crise traumatisante. Sauf qu'ici, le rire avait tout bêtement l'air d'un ricanement sardonique, froid et amer. Un rire qui sonnait creux. Certes, les situations cocasses, les drôleries et autres calembours ne manquaient pas à l'appel. Seulement, rire des malheurs d'autrui porterait atteinte à la mémoire des victimes, coupables d'avoir entretenu des aspirations perdues aux basques d'individus uniquement préoccupés par l'intérêt et le souci matériel. Pour conclure, disons que cette pièce, contrairement à toutes celles qui l'ont précédée, a été compromise par une attitude quelque peu cynique et impudente et par la recherche d'un rire inopportun et mal à propos.