Cent quarante tableaux, dont un magnifique paravent et un ouvrage de miniatures réalisées en commun avec Alexandre Roubtzoff (*), retracent toutes les étapes de la vie d'Aly Ben Salem, les techniques et les styles, si nombreux, auxquels il s'est essayé depuis les années 30 : peintures à l'huile, gouaches, aquarelles, dessins, émaux, mosaïques, ferronneries… Un savoir-faire voué d'abord aux objets et aux scènes de la vie traditionnelle en Tunisie, durant la période de l'entre-deux guerres. C'est le Aly Ben Salem anthropologue et ethnographe. Puis, des œuvres figuratives stylisées aux accents de modernité à l'époque où la peinture coloniale, coupée de la métropole, faisait ses ravages en terre ifriqiyenne. Puis, encore, la liberté de ton à la recherche du Beau édénique. C'est le Aly Ben Salem chantre de la beauté féminine, celui qui la célèbre parfois dans toute sa nudité, en accentuant les aspects érotiques dans une atmosphère épique et lyrique à la fois. En ce sens, Aly Ben Salem fut, sans gêne et sans remords, le pourfendeur de la pseudo-théorie de l'«interdit figuratif» (déjà!) qui allait s'instaurer à l'orée des années 80, avec ses relents d'intégrisme. Donc, en avance sur son temps, l'artiste. Son époque «matissienne» et, même très proche de l'univers de Walt Disney, a le style léger et rapide où se mêlent la faune et la flore aux accents amoureux des cavaliers et des princesses berbéro-arabes, ceux d'un Qaïs et d'une Leïa, autoportraits de l'artiste lui-même et de sa dulcinée Kerstin-Hédia Ben Salem, multipliés à l'envi, jusqu'au décès du peintre en février 2001. Cent quarante œuvres d'art rassemblées et mises savamment en scène au Palais Kheïreddine, au cœur de la Médina de Tunis, à l'occasion du centenaire de sa naissance. Du jamais vu pour ce pionnier de la peinture en Tunisie. Lui qui rêvait un jour, et de son vivant, les voir rassemblées dans un musée digne de ce nom, le voici ainsi réconforté, outre-tombe, même s'il ne s'agit que d'une exposition de circonstance, matérialisée grâce au ministère de tutelle, la mairie de Tunis et, surtout, aux prêts de grands mécènes, collectionneurs privés qui ont suivi l'évolution de l'artiste pas à pas, acquérant le meilleur de ses œuvres pour la postérité. Tant il est vrai, d'ailleurs, qu'une œuvre d'art ne peut appartenir qu'à celui qui l'a créée, in fine. Cent quarante œuvres d'art c'est aussi l'arbre qui cache une gigantesque forêt, quand on pense à ces milliers de tableaux aujourd'hui dispersés en Tunisie, en Europe (la Suède, notamment, qui fut sa seconde patrie), mais aussi aux Etats-Unis, dans le monde arabe et, même, en Asie. Il faudra alors que les générations montantes — futurs muséologues, historiens de l'art, responsables des biens culturels et artistiques tunisiens —, fassent preuve d'intelligence et de célérité pour tenter de les acquérir à leur tour même au prix fort et les rapatrier dans nos musées ou encore se les faire prêter pour le plaisir du public de la capitale et d'ailleurs. Aly Ben Salem, premier grain de ce futur chapelet de l'aventure de l'art contemporain et moderne en Tunisie, aura été aussi — et ainsi — celui grâce auquel tous les autres artistes de talent, comme lui, pourront revenir sur nos cimaises comme ils l'avaient tant espéré de leur vivant. L'exposition du centenaire d'Aly Ben Salem s'achève le 22 janvier. Ne ratez pas, cher public, l'occasion d'aller visiter, ou revisiter, les œuvres de ce chantre de l'amour et de la poésie du Beau et du Merveilleux. —————————— (*) Ainsi que René de Souza, un livre publié par Henri de Montety, sous le titre Le mariage musulman en Tunisie.