Par Samira DAMI Brimé, affamé, opprimé, après 23 ans de souffrance et de silence, le peuple, avec aux premiers rangs ses jeunes à la détermination et au courage inégalables, s'est soulevé comme un seul homme contre la misère, la corruption, l'oppression et l'injustice afin d'arracher de ses propres mains et avec son propre sang, sa liberté confisquée. Ainsi le peuple a pris les choses en main, descendant dans la rue, bravant la répression policière, la violence et la mort, porté qu'il était par l'acte symbolique du martyr Mohamed Bouazizi, menant, pendant près d'un mois, un combat héroïque, écrivant l'une des plus belles pages de l'histoire du pays, voire de l'humanité. Une vraie épopée. Les motivations de la révolution de ces hommes et de ces femmes dignes et libres sont claires : d'abord un ras-le-bol d'un pouvoir qui, non seulement n'était pas à leur écoute, mais les méprisait, les réprimait dans le sang, ensuite la forte déception et l'amertume envers les médias tous confondus, certes étouffés et sous contrôle, qui, à quelques infinitésimales exceptions, ne reflétaient nullement leurs problèmes et préoccupations. Côté arts et littérature, ce n'était pas mieux, car très rares sont les films, les pièces de théâtre, les livres ou les poèmes qui traitent ou représentent le quotidien du peuple, sa condition sociale et politique. Ainsi, nous n'avons pratiquement pas entendu de voix d'écrivains ou d'artistes s'élever contre la corruption, l'injustice, le chômage, la misère, le clientélisme, le népotisme, la dictature, l'oppression. De la part des sociologues, philosophes et penseurs non plus. Pourquoi cette démission quasi générale des artistes et des intellectuels occasionnant une coupure, voire un schisme avec le peuple ? Il faut dire que les raisons sont multiples: la peur du régime, le manque d'audace, l'autocensure, la censure. Sans compter que certains artistes ont carrément choisi la voie de la flatterie courtisane, l'encensement total et l'apologie d'un régime corrompu et dictatorial. Ce qui a généré une culture de la corruption et de la déliquescence due à l'esprit de cupidité, de profit et d'individualisme. Les médias et l'élite, dans leur majorité, ont failli, par manque de courage et d'audace, à leur mission de témoin, d'observateur et d'analyste rendant compte et reflétant la réalité et les conditions de vie du peuple. Les arts chez nous n'ont pas joué leur rôle essentiel de miroir de la société, d'anticipateur et de visionnaire. Le peuple a mené en héros solitaire sa révolution, certes l'Ugtt a encadré cette révolution mémorable, notamment la grande manifestation du 14 janvier 2011 à Tunis. Une révolution à la seule sueur de son front. Que les opportunistes qui ont l'habitude de profiter des «grandes occasions» se tiennent à carreau.