Par Nacef ABDENNADHER * A la croisée des chemins à laquelle la Tunisie est confrontée sur le plan politique, correspond aussi une croisée des chemins économique non moins cruciale. Dans un environnement international caractérisé par une reprise graduelle, à la suite de la crise financière internationale, la Tunisie connaît, pour ne pas dire une crise, un retournement de situation important à la suite du renversement du régime Ben Ali. Deux éléments importants marquent ce retournement de situation. Il s'agit, d'une part, des événements de destruction d'une partie de l'infrastructure relevant, notamment, du secteur de la distribution et des révélations concernant les fuites entreprises par la famille du président déchu et leurs engagements bancaires, non complètement connus à ce jour, de l'autre. La question qui se pose maintenant concerne donc les perspectives à court terme de l'économie tunisienne et concerne aussi les politiques à mettre en œuvre pour dépasser ces obstacles économiques. Nous nous concentrerons sur les éléments de l'équilibre macroéconomique. Croissance… le défi de tous La croissance, initialement prévue à 5,4% pour l'année 2011, va connaître certaines difficultés à atteindre le niveau escompté ne serait-ce que pour l'arrêt quasi total de l'activité durant le mois de janvier. Des difficultés sont aussi à prévoir pour le reste de l'année à cause d'une pluviométrie jusque-là défavorable à l'agriculture, le ralentissement des investissements, notamment dans le secteur de l'industrie manufacturière, et les dégâts qu'a connus le secteur de la distribution. Pour le tourisme, qui subit actuellement le choc dans une période de basse saison, il pourrait connaître les mêmes difficultés ou alors une saison exceptionnelle profitant peut-être de l'effet de propagande mondiale portant sur la révolution tunisienne. Cela reste tributaire de la stabilisation politique du pays, condition nécessaire pour que les structures touristiques entament leur campagne dans de bonnes conditions. Globalement, la croissance sera certes moins importante que les prévisions mais elle restera positive. Investissements étrangers… viendront, viendront pas Tout dépendra là aussi de la stabilité politique du pays. Quoi qu'il en soit, plusieurs investisseurs étrangers ont insisté sur le fait qu'ils ne quitteront pas la Tunisie. Mais lorsque le flou politique se dissipera, la Tunisie gardera tous ses avantages (proximité des marchés, main-d'œuvre de qualité, incitations financières et fiscales…) et ne trouvera pas de mal à attirer encore plus d'investissements étrangers. Cela dépendra aussi des politiques mises en œuvre et leur attitude vis-à-vis des IDE. Investissement local… les capitaux sont généralement lâches, seront ils-courageux en Tunisie ? La réponse est bien oui, à condition que l'investissement public soit leader et montre la voie. Dans ce cadre, on peut s'attendre à une politique fortement volontariste de l'Etat via les investissements qui viseront le développement régional. Là aussi, il sera attendu que ces investissements publics visent la promotion du secteur privé dans les régions (infrastructure, routes…). En 2011, l'on peut s'attendre donc à une augmentation importante des investissements publics (une tendance qui prévaudra aussi pendant les prochaines années) et à une fébrilité de l'investissement privé qui, par la suite, profitera de l'amélioration du climat des affaires suite à la disparition de la concurrence déloyale et des pratiques qu'entreprenaient les proches de la famille «présidentielle». La reprise devrait être imminente puisque les structures de soutien existent et apportent bien leur concours. Mais l'appareil productif tunisien doit profiter de la reprise de la croissance économique mondiale et l'affermissement de la demande extérieure des produits tunisiens, et ce, en offrant une production de qualité et en ne comptant plus sur la compétitivité prix caractérisée par un dopage de la part de la politique des changes. C'est ce secteur qui connaîtra les plus lourdes difficultés. D'abord, à cause des engagements des membres de la famille du président déchu qui seraient de quelques centaines de millions de dinars. Ensuite, ce secteur qui, fort probablement, a contribué à financer les projets commerciaux saccagés, devra patienter avant que ces projets retrouvent leur capacité à rembourser. Puis, les banques devront contribuer, comme elles l'ont bien fait par le passé, à l'effort de reconstruction et aussi de développement. Enfin, les assurances (dont certaines sont filiales des banques) auront la lourde tâche d'indemniser une bonne partie des dégâts. Il est important de noter que l'assurance des dépôts de la clientèle auprès du secteur bancaire par l'Etat a éloigné le risque de panique bancaire. Les finances publiques… locomotive du développement Il est plus probable, vu la lourdeur de la charge du secteur bancaire d'une part, et la marge de manœuvre offerte à la politique budgétaire (un déficit budgétaire de moins de 3% contre une moyenne de 8% environ dans les pays développés) d'autre part, que c'est le budget de l'Etat qui supportera une bonne partie du fardeau. Les charges de fonctionnement augmenteront suite à la nationalisation des propriétés de la famille Ben Ali et suite aux efforts qui seront déployés pour consolider l'emploi. On peut donc s'attendre à une élargissement du déficit budgétaire. En résumé, la situation économique de la Tunisie reste solide, à condition de ne pas tomber dans l'instabilité politique et de lubrifier les mécanismes existants pour la consolidation du commerce extérieur. La Tunisie ne pourra pas atteindre les objectifs du budget économique 2011 mais elle dispose d'une bonne marge de manœuvre surtout sur le plan budgétaire pour éviter une réelle crise économique. L'Etat devrait être en mesure d'épauler le secteur bancaire, assurer le développement, notamment dans les régions, et mener une politique agressive de l'emploi. En outre, l'amélioration du climat des affaires sera à même d'attirer des investissements locaux et étrangers et passer ainsi à un palier supérieur du développement.