Début de la semaine, aux premières heures de la journée, les familles de l'équipage du navire Hannibal 2, pris en otage sur les côtes somaliennes depuis le 11 novembre dernier, ont élu domicile au ministère du transport. Rien ne les fera rebrousser chemin avant de rencontrer le ministre Yassine Brahim fraichement débarqué au gouvernement provisoire. Les revendications sont simples et élémentaires : «nous voulons que nos enfants rentrent à la maison et qu'on nous donne des réponses à nos inquiétudes». Le nouveau ministre n'était pas encore à son bureau, il n'avait même pas encore prêté serment. Les familles n'étaient prêtes à aucune concession : «on ne partira pas tant qu'on n'aura pas rencontré le ministre et lui exposer notre cause». L'histoire remonte à plus de trois mois quand l'agence TAP avait lancé l'information suivante : «Le navire "Hannibal II, exploité par la société tunisienne "GMT" battant pavillon panaméen, a été détourné, jeudi, à 4h30 du matin, heure universelle, par dix à quinze individus armés non identifiés.» Le navire compte 32 membres d'équipage dont 22 portant la nationalité tunisienne, en plus d'autres : marocains, russes, croates et philippins. Le navire, en provenance de Malaisie et se dirigeant vers la Grèce, transportait de l'huile végétale. Le navire a été détourné après un bref stationnement dans le Golfe d'Aden où des pirates armés l'ont forcé à prendre la direction des côtes somaliennes. Les autorités tunisiennes suivent, heure par heure, l'opération de détournement et s'emploient, en coordination avec toutes les parties concernées dans la région, à mettre fin à cette opération dans les plus brefs délais ainsi qu'à la préservation de la vie des ressortissants tunisiens, membres de l'équipage du navire Hannibal II. Depuis, pas de nouvelles ! Quelques jours après, un autre article est paru portant le titre suivant «Férid Abbès, armateur du navire tunisien Hannibal II capturé au Golfe d'Aden: calme et confiant» Un mois après, rien de nouveau à l'horizon, le vent de la révolution nous a fait oublier ces hommes à la mer mais aussi la chape de plomb de l'ancien régime nous a détournés de leur détresse. Une semaine après la révolution du 14 janvier, le téléphone de la rédaction de notre journal sonna, au bout du fil une voix tremblante: « je peux vous parler ? »… «je me présente, Moncef Fradi, le père du commandant de bord du bateau-citerne Hannibal II». Le temps que nous comprenions de quoi il s'agit, il ajoute : «il y a deux jours, vers 21h00, j'ai reçu un appel de mon fils Faouzi. Les pirates leur accordent cette faveur : téléphoner à leur famille une fois par mois», c'est peut-être leur manière d'entretenir l'espoir chez les familles et relancer encore une fois la demande de rançon. Pirates, rançon, otages tout cela nous semble étrange et le plus étrange, c'est qu'il est possible d'en parler. Notre interlocuteur n'attendait pas nos questions et il continue à nous rendre compte de toute la conversation qu'il a eue avec son fils :«Mon fils est dans une grande détresse, les pirates l'utilisent pour conduire le bateau et attaquer d'autres navires, cela a été déjà fait à deux reprises pour prendre d'assaut un bateau malaisien et dernièrement un navire». Tout l'équipage est sur le pont à ciel découvert. ils sont les esclaves des pirates, ils doivent demander l'autorisation même pour les besoins les plus élémentaires. Plus d'eau potable, plus de vivres à part du poisson qui a pourri entre-temps. «La situation de mon fils est critique c'est lui le responsable de son équipage qui souffre de fièvre et d'infection, mais il se sent totalement impuissant face à des hommes au bord de la dépression qui menacent de se suicider», poursuivit-il sans reprendre son souffle. La question qui nous est venue à l'esprit ! «Avez-vous essayé de contacter les autorités, et l'armateur dans tout cela ?» Nous avons écrit plus d'une lettre, plus d'une doléance au parlement, au premier ministère, à la présidence, au ministère du transport toutes sont restées sans réponses. Quant à l'armateur Férid Abbas, «il nous a promis monts et merveilles, lors de la réunion que nous avons eue avec lui le 10 janvier à l'office de la marine marchande, nous affirmant qu'il est en négociations avec les pirates mais visiblement rien n'a été fait». «Et quand j'ai essayé de contacter les médias, le gouverneur de Sousse m'a fait comprendre qu'il faut arrêter de faire des vagues pour rien, le président de la république en personne (l'ancien bien entendu) s'en occupait.» Après avoir raccroché, un coup de fil à l'armateur Férid Abbès s'imposait. Esquivant nos questions, il nous a promis de nous répondre. Y- a-t-il anguille sous roche ? Aujourd'hui, après un long sit-in devant le ministère du transport et après avoir pu rencontrer enfin le nouveau ministre Yassine Brahim, les familles semblent plus confiantes. Les écouter était pour elles un énorme geste et surtout la promesse de les informer régulièrement de l'évolution de l'affaire. Les familles ne demandaient pas plus pour le moment, en attendant de voir leurs enfants retourner au bercail. Affaire à suivre.