Il avait déjà passé le cap de la révélation avec Femmes dans un monde de foot (1998), Cafichanta (1999), Raïs Labhar (Ô capitaine des mers) (2002), Choft ennjoum fil qaïla (J'en ai vu des étoiles) (2007) et Ramadan à Touba (2008), ce jeune réalisateur a fait l'unanimité et acquis un très nombreux public venu lors de l'avant-première, organisée récemment. Dans Conte de faits, c'est un nouveau centre d'intérêt qui interpelle Hichem Ben Ammar. Après avoir abordé des phénomènes sociaux tels que l'émigration clandestine ou la boxe et le foot, voilà qu'il se focalise sur un épiphénomène: le talent artistique précoce. C'est un destin exceptionnel que celui du jeune Anès Romdhani. Initié précisément à la musique symphonique depuis qu'il était dans la matrice, à un âge précoce, il est pris en charge par son père Abderraouf qui le soumet à un régime de répétition strict, implacable, intransigeant. C'est que le père tromboniste dans une troupe de fanfare, originaire d'un faubourg de Tunis, a transféré son rêve, inabouti, sur son fils qu'il veut prédestiner à une carrière de violoniste hors pair. L'enfant est certes doué. Le prouve sa performance au Yehudi Menuhim School de Londres où il passe avec brio un concours, à 12 ans, à la surprise de son propre père. D'évidence, le prix à payer pour intégrer cette école et y suivre le cursus conventionnel n'est pas mince : 90.000 dinars. C'est un combat dur et acharné que mène le père qui finit par gagner le soutien d'un réseau de solidarité civile. Et Anès, on l'apprend à la fin du documentaire, d'accéder à une bourse pour poursuivre ses études jusqu'en 2014. Ce récit est à découvrir par les spectateurs qui se feront sans doute un plaisir de suivre les péripéties de cette histoire attachante d'un père bravant toutes les résistances, toutes les difficultés pour réaliser ses propres rêves par procuration. On est parfois tenté de croire que le cinéaste creuse dans la pensée et dans les agissements du père, en jetant de l'ombre sur le fils. C'est à se demander qui des deux est le personnage principal du film. Mais que non ! Plusieurs sont les personnages principaux de cette œuvre qui laisse filtrer un souffle fictif, en dépit de sa vocation documentaire. Hichem Ben Ammar fait-il ici allusion à la «violence» parentale qui consiste à imposer aux enfants les rêves avortés des adultes? C'est avec beaucoup de réserve que ce terme de violence s'impose. Mais, il s'impose bel et bien lorsque l'on voit le père projeter le même dessein pour sa petite fille en la prédestinant à une carrière de piano. De deux choses l'une : ou ce père est un excellent pédagogue et un découvreur de talents, ou il s'agit d'un homme brimé et frustré par sa condition et qui s'obstine à prendre sa revanche à travers ses enfants. H. Ben Ammar analyse le personnage au moyen d'une approche sociologique en lui prêtant un désir de mobilité sociale. Soit. Mais dans la présence excessive du père dans le film à laquelle s'oppose le quasi effacement de Anès, sont pressentis les termes d'un étonnement auxquels Hichem Ben Ammar ne donne pas de suite, choisissant sans doute l'impartialité, pour se contenter du simple constat. Le cinéaste a annoncé que ce documentaire est le premier maillon d'un triptyque qui continuera d'accompagner Anès Romdhani dans son cursus et dans sa carrière. Ce jeune génie intégrera-t-il sa place de personnage principal dans les deux prochains documentaires ? Sera-t-il amené à formuler lui-même ses propres rêves? En d'autres termes, sera-t-il en mesure de rompre avec le père, de cette rupture épisthémologique bien entendu?