Par Béchir CHOUROU* La présence du membre du gouvernement provisoire chargé des Affaires étrangères sur le plateau de Nessma TV le dimanche 6 février aura été salutaire à plus d'un titre. Tout d'abord, elle m'a permis de découvrir ce qui est probablement le vrai visage d'un personnage que je considérais comme un honnête défenseur des principes de la démocratie et des droits de l'Homme. Or il s'avère que ce n'était là qu'un masque qui cachait, habilement, un despote éclairé qui se considère comme un nouveau Machiavel ou un héritier de Kissinger. En deuxième lieu, l'émission de dimanche m'a poussé à retourner précipitamment dans le camp des sceptiques auquel je m'étais joint dès la formation du premier gouvernement provisoire, mais que j'étais prêt à abandonner après la constitution du deuxième gouvernement. Ma disposition à donner à la nouvelle équipe l'occasion de faire ses preuves a été renforcée par les déclarations et les actes de certains membres du gouvernement provisoire qui ont su gagner ma confiance et mon soutien. Mais maintenant, je n'ai d'autre choix que le retour à la vigilance et l'appel à toute la nation d'en faire autant. Bien entendu, il ne faut pas tomber dans l'amalgame ou le rejet systématique de tout ce qui émane du gouvernement provisoire. Il n'y a pas lieu ici de passer en revue tout ce qui a été dit au cours de l'émission, mais je voudrais mettre en exergue deux points. Le premier concerne l'affirmation qu'un ministre des Affaires étrangères est la personnification de la souveraineté de l'Etat, et qu'il lui incombe d'agir au nom des intérêts supérieurs de la nation sans se laisser influencer par les avis des spécialistes, les principes et les valeurs des utopistes, ou l'attitude populiste de l'homme de la rue. L'un des journalistes sur le plateau a donné une réponse cinglante à ce discours: le peuple tunisien a clairement affirmé qu'il a une dignité qu'il entend défendre et protéger, même si pour cela il doit vivre de pain et d'eau. Je voudrais donc dénoncer haut et fort le comportement déshonorant du ministre provisoire des Affaires étrangères depuis qu'il a pris ses fonctions. Je voudrais aussi lancer un appel à Monsieur le Premier ministre provisoire pour qu'il rappelle son ministre à l'ordre, et lui rappelle que la tâche de tout le gouvernement se limite à assurer le bon fonctionnement des rouages de l'administration — sans plus. On pourrait, à la limite, admettre une exception à cette règle générale, lorsque la moralité et/ou la volonté clairement exprimée de l'opinion publique exigent que la Tunisie prenne position sur une question donnée. Deux cas particuliers viennent à l'esprit. D'une part, il y a les déclarations de la ministre française des Affaires étrangères qui ont été dénoncées même par une bonne partie de l'opinion publique et de la classe politique en France, mais que le ministre tunisien a jugé bon de passer sous silence. D'autre part, il y a le lourd silence du ministère tunisien au sujet de l'intifadha qui se déroule en Egypte. Il aurait été tout à l'honneur du ministère et du gouvernement d'exprimer un soutien sans équivoque au peuple égyptien qui souffre les affres d'un régime identique à celui que nous avons réussi à renverser, même si une telle position, en l'absence d'une légitimité juridique, ne peut se targuer que d'une légitimité morale octroyée par une bonne partie de la nation pour ce cas précis. Le deuxième point que je voudrais souligner concerne le ton et le langage utilisés par le ministre provisoire tout au long de l'émission. Il semble que notre protagoniste se soit érigé un piédestal du haut duquel il s'est arrogé le droit «d'inculquer» (le mot arabe utilisé était laqqana) des leçons en philosophie politique ou en déontologie journalistique. Si je puis me permettre d'offrir un modeste conseil, c'est de remettre pied à terre avant que le vertige ne vous fasse vous retrouver le nez dans la poussière. Sachez aussi qu'un peu de modestie et de bienséance n'a jamais tué personne. En conclusion, le Premier ministre et les autres membres du gouvernement provisoire doivent dénoncer ce qui s'est passé dimanche dernier sur le plateau de Nessma TV, se désolidariser de ce collègue, et exiger son renvoi immédiat sans lui permettre de démissionner. Il y va de la crédibilité dont jouit encore le gouvernement provisoire. La seule consolation que l'on puisse avoir, c'est que le gouvernement actuel n'est que provisoire, mais elle n'est pas et elle ne peut plus être rassurante quant à l'avenir de la Révolution. * Docteur en sciences politiques