On peut comprendre que d'immenses énergies d'ordre religieux cherchent aujourd'hui à s'exprimer après avoir été longtemps étouffées. La pression que le mouvement Ennahdha essaie d'exercer est à la mesure des frustrations subies à son corps défendant ces dernières décennies. Sauf que si la majorité des Tunisiens, pas très rassurée sur les déclarations d'intention et les projets d'avenir d'Ennahdha, n'a pas tort de se montrer réticente et plus que réservée sur une voie qui, à plus ou moins terme, risque de précipiter la société dans l'inconnu. La Tunisie, profondément engagée dans le changement, est aujourd'hui confrontée à l'impérieuse nécessité de construire une vision réaliste des préoccupations actuelles détaillant un modèle d'organisation sociale, économique et politique du pays dont la pertinence commence enfin à être perçue. Le peuple tunisien aspire aujourd'hui, dans son intégralité, à la paix et à la sauvegarde de ses acquis, principalement le Code du statut personnel, cet ensemble de lois et dispositions réglementaires régissant les droits et devoirs des femmes. Un CSP garant des grands changements, radicalement nouveaux et absolument révolutionnaires, dans l'intérêt suprême de la femme tunisienne. Malgré les démentis du leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, concernant une hypothétique remise en question de tous les avantages et droits obtenus en faveur de la femme, l'on est en droit de douter et d'être circonspect sur ses déclarations d'autant qu'il insiste sur le fait qu'en tant que chef historique du mouvement, il tient à se tenir à l'écart de la direction et du pouvoir de décision. Son rôle se limiterait uniquement à jouer au guide charismatique du mouvement, à l'image de l'Imam Khomeïni en Iran. L'avenir de ce mouvement d'obédience religieuse est mis au défi d'accepter sans tergiverser une complète et entière égalité des sexes. De ce fait, Ennahdha ne peut ignorer le principe fondamental du droit de la femme à la dignité et, par conséquent, du refus de l'application de la chariaâ islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et, surtout, individuelle du Tunisien. Une chariaâ dont nous avons observé, affligés et horrifiés, le résultat en Iran, en Afghanistan, au Soudan et ailleurs. Comment imaginer la prochaine étape de cette révolution sans remettre en cause les attitudes et les postulats qui sous-tendent les approches actuelles de l'avenir de la démocratie et de la sauvegarde des libertés chèrement arrachées. La Tunisie est harcelée de toutes parts par toutes sortes de problèmes. Les troubles qui convulsent le pays sont sans précédent et beaucoup de leurs conséquences risqueraient d'être terriblement destructrices. Un monde a disparu et un autre se bat pour naître.