«La mesure ultime de l'homme n'est pas dans sa position dans les temps de confort et de convenance mais celle qu'il adopte par temps de défis et de controverse» Martin Luther King N'importe quel spécialiste de la communication vous dira que par temps de crise — et nous y sommes encore en plein —, qu'elle concerne un gouvernement ou une entreprise, la fonction de porte-parole est un travail à plein temps devant être assuré par toute une équipe. Loin de moi l'idée de contester l'éloquence, la crédibilité, la compétence ou la personne même de M. Taïeb Baccouche. Cependant, cette personne est très occupée et je ne doute pas que le portefeuille de ministre de l'Education qui lui a été confié doit l'occuper 24h/24. La communication de crise obéit à des règles très précises et le gouvernement ne semble pas vouloir ou pouvoir le comprendre. Le simple bon sens du dernier homme de la rue le conduirait à réaliser que l'environnement social est pollué par tellement de rumeurs, d'intox et de désinformation qu'il est urgent pour le gouvernement de communiquer davantage, et pas n'importe comment. Il est tout aussi urgent de mettre des garde-fous pour éviter les dérapages inacceptables comme celui, tout récent, consistant à stigmatiser l'ENA et l'ensemble des énarques, présents et à venir, et à s'arroger le droit de prononcer, sans autre forme de procès, leur excommunication définitive et irrévocable (mea-culpa en passant, mais j'avoue que j'ignorais jusqu'à cette condamnation que pendant des années j'ai formé des rcédéistes de pure souche). Sous prétexte de démocratie et de liberté retrouvée, on laisse faire tout et n'importe quoi. Cette incompétence-là, à ce moment précis de l'histoire de notre pays, est tout simplement criminelle. Lorsque j'ai récemment évoqué sur ces mêmes colonnes, en même temps que sur Facebook, le passage malheureux du ministre des Affaires étrangères sur Nessma, l'objet de mon article n'était pas de justifier M. Ahmed Ounaïes, ce n'était d'ailleurs pas le propos, mais de dénoncer cette pratique (qui s'est malheureusement banalisée à cause de la faiblesse du gouvernement) consistant à transformer les plateaux télé en tribunaux populaires, avec des journalistes de la presse écrite et du journalisme d'agence qui ignorent tout des règles des débats audiovisuels, haranguant des membres du gouvernement qui se sont malheureusement dépréciés, médiatiquement parlant, en acceptant tout et n'importe quoi. A titre d'illustration, et c'est à peine croyable, j'ai vu un soir sur la chaîne privée «Hannibal» quatre ministres faisant face à une présentatrice unique, alors que, pratiquement partout dans le monde, c'est l'inverse qui est la règle. D'ailleurs, cette charmante dame n'a pas manqué de s'en vanter auprès de ses téléspectateurs, tels Casanova ou Valmont exhibant leurs tableaux de chasse. Et cette forme de dépréciation n'est rien comparée à celle finement résumée par le journaliste Jawhar Chatty (voir La Presse du 10 février) par son titre si subtil : «Un gouvernement d'union syndicale». Il vaut mieux en rire avec lui car, vraiment, là on a touché le fond. Mais dans quelle époque vivons-nous donc ! La fonction de porte-parole en temps de crise Au moment où la conjoncture devrait nous imposer de trouver et de nommer un porte-parole compétent et full-time, nous nous contentons d'un half-time ou part-time. La Tunisie a besoin, pour ce poste crucial, certainement pas d'un volontaire à temps partiel, mais d'un chef pompier chevronné (un quadra de préférence, coaché au besoin par une ou deux personnes plus âgées), mais, surtout, appuyé par un bataillon de communicateurs à l'écoute des rumeurs et des médias (notamment sociaux) pour réagir immédiatement et tenter de limiter les dégâts. Ce sera à lui, entre autres, de décider s'il y a lieu ou non de répondre à telle ou telle invitation, adressée par n'importe quel média, et à quel niveau de responsabilité. Il veillera, et ceci est important, à bien en négocier le format en professionnel. Les stratégies de communication de crise ont été développées il y a bien longtemps. Elles sont enseignées notamment dans les écoles de commerce et les instituts de communication. Ce sont généralement des plans et des scenarii bien rangés dans les tiroirs du haut management, fréquemment mis à jour, mais toujours prêts pour l'utilisation. Chacun espère ne jamais devoir y recourir, mais tout le monde est tranquille de les savoir à portée de main. En cas de crise, il n'y a qu'à dérouler le protocole à suivre : qui a le droit de parler tant au niveau central qu'au niveau des structures externes, comment il doit le faire, quel ton devra-t-il adopter et, bien sûr, en fonction de la situation, quel type de messages. Préalablement à cela, des formations auront été assurées autant pour la pleine appropriation du protocole et sa maîtrise que pour la mise en situation (dont des media-training). Dans le cas présent, et s'agissant d'une crise sans précédent et qui est loin d'être terminée, des décisions parfois difficiles doivent être prises, avec énergie et détermination. La personne qui les prend n'est pas nécessairement celle qui est la plus qualifiée pour les expliquer. Tout retard dans la prise de décision, de même que toute erreur dans le choix de l'option est difficilement rattrapable. Ce qui est sûr, et là nous n'avons pas à réinventer la roue : le minimum requis est un briefing quotidien (à 16h pour tenir compte des heures de bouclage), voire deux lorsque les circonstances l'imposent. Et derrière ce porte-parole à plein temps, une ruche vivante constituée d'une bonne trentaine de jeunes bouillonnants et surdoués, twitteurs et facebookistes, veille au grain, détectant la moindre alerte, sensible au moindre bruissement de la rue, surveillant toutes les chaînes de télévision et de radio, analysant la presse écrite et électronique avec flair et méthode. Cette armée, vigilante et outillée, aura pour tâche de décortiquer tout ce qu'elle capte, reçoit et perçoit, de dissocier le bon grain de l'ivraie, le futile de l'important, en œuvrant à neutraliser les rumeurs toxiques et malveillantes. Le tri doit se faire au sein de la cellule de crise en temps réel, et le choix de la riposte devra se faire rapidement, en accord avec, selon le cas, l'entreprise, l'autorité régionale ou le département ministériel concernés: ignorer, ou bien confier la réponse à un junior, ou encore préparer la déclaration à inclure dans le prochain point de presse. Pourquoi notre pays aurait-il formé tant d'hommes et de femmes, leur payant tant de bourses et réservant à leur formation autant d'argent si ce n'est pour utiliser leurs compétences, leur savoir-faire, aussi bien en temps de paix que par temps de défis et de controverses. Y a-t-il encore de la place pour l'amateurisme? L'heure de battre le rappel des réservistes n'aurait-elle pas encore sonné ? A.M. * Consultant en communication publique